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En engraissement de bovins : des solutions pour maîtriser son coût alimentaire

Comment éviter un dérapage des coûts alimentaires avec l’envolée du prix des matières premières à la suite du conflit en Europe de l’Est ?

Publié le par Bertrand Deroche (Institut de l'Elevage), Jérémy Douhay (Institut de l'Elevage - Ferme Expérimentale de Jalogny)
Alimentation - Abreuvement Coûts de production Bovin viande
L’engraissement de bovins nécessite une alimentation riche en énergie et en protéines pour assurer un gain de croît et un état de finition suffisants. L’utilisation de concentrés répond à cet objectif, mais rend les systèmes dépendants envers cette matière première achetée ou produite sur l’exploitation. Quand bien même les changements brutaux de régimes alimentaires ou des restrictions alimentaires sévères en cours d’engraissement sont à éviter, des marges de manœuvre existent néanmoins pour limiter le recours aux concentrés.  

Réduire l’apport de concentrés énergétiques dans les rations à base d’ensilage de maïs  

Le levier d’action prioritaire est de maîtriser au mieux la qualité de l’ensilage de maïs. Il est recommandé de le récolter au stade grain laiteux-pâteux (viser 32-35 % de matière sèche [MS]), de maîtriser la finesse de hachage (90 % particules < 10 mm), le tassement (éviter la présence de terre) et la confection du silo, mais aussi l’avancement du front d’attaque. 

Pour des rations à base d’ensilage de maïs complémentées entre 2,5 et 5 kg de concentré par jour, la réduction de 1 kg/j de blé économise entre 225 et 280 kg de blé/jeune bovin (JB) pour un poids de carcasse identique. En revanche, le bilan alimentaire augmentera de 280 à 370 kg MS/JB pour l’ensilage de maïs et de 17 à 60 kg/JB de tourteau de soja pour équilibrer la ration en protéines. Le niveau de croissance moyen sera diminué d’environ 20 à 45 g/j, allongeant ainsi la durée d’engraissement d’une quinzaine de jours. 

Conséquences de la réduction de l’apport de blé en complément d’un régime à base d’ensilage de maïs sur les performances zootechniques de JB de 17-18 mois et le bilan des consommations

   

Charolais

Limousin

Normand Montbéliard

Ensilage de maïs

 

A volonté

Blé

kg brut/j

4

2,6

1

4

1,5

2,1

0,6

Tourteau de soja

kg brut/j

1

1,2

1,3

1,1

1,2

1

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Durée

jours

290

305

320

290

336

412

442

Poids vif début

kg

290

300

300

275

290

145

145

Poids carcasse

kg

435

435

435

420

415

370

370

GMQ

g/j

1470

1440

1370

1330

1190

1260

1190

                 

Bilan alimentaire :

 

 

 

 

 

 

 

 

Maïs ensilage

kg MS/JB

1113

1632

2097

1120

1581

2076

2776

Blé

kg brut/JB

1098

759

316

1090

493

851

264

Tourteau de soja

kg brut/JB

279

348

398

300

361

404

442

Ajuster au strict nécessaire le complémentaire protéique 

Pendant l’engraissement, il est recommandé d’apporter entre 90 et 95 PDI/UF pour les jeunes bovins de races laitières, entre 100 et 105 g de PDI/UF pour les JB de races allaitantes et entre 90 et 100 g de PDI/UF pour les femelles en finition. Au-delà de ces ratios, le complémentaire azoté est gaspillé, puisque les croissances ne sont pas améliorées.

Possibilité de remplacer le blé ou le tourteau de soja ou de colza par d’autres sources

Le remplacement du blé par d’autres concentrés énergétiques et du tourteau de soja ou colza par d’autres concentrés protéiques est possible. Cette substitution partielle ou totale est à raisonner selon les disponibilités de ces aliments, leur coût et leur teneur en énergie (UFV) ou en protéines (PDIN). 

Equivalences entre différents aliments énergétiques et le blé calculées sur les UFV

Aliments (kg brut)

Remplace

(en kg brut)

Intérêts et limites

1 kg de triticale

1 kg de blé

Equivalent au blé

1 kg d'orge

0,91 kg de blé

Moins acidogène, seule en complément de l’ensilage possible mais indice de consommation détérioré de 10 à 15 %

1 kg de maïs grain

 

1,04 kg de blé

Riche en énergie, en sec : distribuer aplati, en humide à 65 % MS et moins : broyer à la récolte et ensiler, en humide à 70 % MS : stocker entier et inerter (absence d’air : big-bags,…), indice de consommation amélioré

1 kg de betteraves fourragères

0,15 kg de blé

Appétent, riche en énergie, 3 à 4 kg de MS/j en complément de l’ensilage de maïs, entières ou coupées, performances équivalentes

1 kg de pulpe surpressée

0,22 kg de blé

 

Appétent, riche en énergie, utilisable en plat unique avec apport de fourrages. Riche en Ca, pauvre en P, adapter l’AMV, bonnes performances

 

1 kg de pulpe déshydratée

0,85 kg de blé

1 kg de pommes de terre

0,24 kg de blé

Appétent, riche en énergie, riche en amidon, limiter l’apport à 15-20 kg bruts/JB et apport indispensable de fibres. Co-produits intéressants.

Source: INRA, 2007

Equivalences entre différents aliments azotés et le tourteau de soja calculées sur les PDIN

Aliments (brut)

Remplace le tourteau de soja 48 (brut)

Remplace le tourteau de colza (brut)

Intérêts et limites

Tourteau de colza

1,5 kg

_

Peut remplacer en totalité le soja, entraine une légère baisse énergétique de la ration, mais les performances zootechniques sont très proches.

Tourteau tournesol non décortiqué*

1,9 kg

1,2 kg

Peut remplacer en totalité le soja et le colza, mais pauvre en énergie. Entraîne une dilution énergétique de la ration et une baisse des performances. Riche en cellulose.

Tourteau de lin expeller

1,5 kg

1,0 kg

Peut remplacer en totalité le soja et le colza, plus riche en énergie que le tourteau de colza. Améliore les performances et l’efficacité alimentaire.

Pois, féverole crue

2,9-3,1 kg pour le pois

2,3 kg pour la féverole

1,9-2 kg pour le pois

1,5 kg pour la féverole

Peuvent remplacer en totalité le soja et le colza, teneur en UFV proche du tourteau de soja mais supérieure au colza. Distribuer aplati, avec un fourrage grossier (paille). Maintien des performances et de l’efficacité alimentaire.

S’assurer de la valeur alimentaire des graines toastées (écart valeurs INRA 2007). A privilégier sur des rations à base d’herbe.

Pois, féverole toastée

2,6-2,8 kg pour le pois

2,0 kg pour la féverole

1,7-1,8 kg pour le pois

1,3 kg pour la féverole

Graine de lin

2,3 kg

1,5 kg

Remplacement partiel du soja mais total du colza car forte teneur en matière grasse qui limite les quantités distribuées à 1,5 kg. Riche en énergie. A distribuer aplatie.

 

Tourteau gras de colza

1,5 kg

(si 20 % MG)

1,0 kg

(si 20 % MG)

Valeur dépendant de sa teneur en matière grasse. Peut-être utilisé seul pour remplacer le soja jusqu’à 15-20 % de MG (apport de 2,5 à 3 kg maxi). Plus riche en énergie que le tourteau de soja. Permet de maintenir une bonne densité énergétique de la ration et les performances.

Corn gluten feed

2,6 kg

1,7 kg

Riche en énergie, riche en amidon, apport complémentaire de fibres. Performances équivalentes

Drèches de blé (< 7 % d’amidon)

1,45 kg

0,96 kg

Riche en protéines, appétent. Permet de remplacer les ¾ du soja et totalement le colza.

Drèches de brasserie moins riches en protéines et énergie

Luzerne déshydratée

(18 % MAT)

3,0 kg

2,0 kg

Déficitaire en protéines et énergie. Remplace partiellement le soja. A privilégier sur bovins à faibles besoins. Riche en fibres et Ca. Adapter l’AMV.

* Compte tenu du conflit russo-ukrainien, les disponibilités en tourteaux de tournesol sont faibles et aléatoires

(INRA, 2007 ; protéagineux: JB toast)

Sevrer les veaux nés à l’automne en début d’été 

Pour les veaux nés à l’automne, un sevrage en juin plutôt qu’en mars permet au veau de profiter du lait de sa mère plus longtemps, notamment du second pic de lactation lié à la mise à l’herbe, mais aussi de la pousse de l’herbe printanière quantitative et qualitative. Les croissances sont légèrement moindres au pâturage (cf. tableau), mais les veaux bénéficient après le sevrage d’une croissance compensatrice qui permet de les abattre au même poids et âge que les veaux sevrés en mars. Ce levier économise une quantité de fourrages et concentrés non-négligeable, mais nécessite une surface en herbe supplémentaire au pâturage.

Performances de lots de veaux mâles nés à l’automne et sevrés en mars ou en juin 

Période

 

Sevrage mars

Sevrage juin

Mars - juin

Croissance (g/j)

1714

1125

Consommation totale fourrage + concentré (kg)

533

0

+ 22 ares / veau

Juin - abattage

Croissance (g/j)

1424

1561

Mars - abattage

Croissance (g/j)

1497

1456

Consommation totale fourrages + concentrés (kg)

2406

2012

- 84 kg soja

- 126 kg blé

Ration en bâtiment : 72 % ensilage maïs, 15 % blé, 10 % tourteau de soja, 2 % AMV

Intégrer de l’herbe dans des rations d’engraissement à l’auge : c’est possible 

Une récolte d’herbe à un stade précoce assure une bonne valeur alimentaire, mais pénalise le rendement. Un compromis entre qualité et quantité est situé au stade début épiaison pour les graminées et début bourgeonnement pour les légumineuses. Au-delà, le rendement est peu amélioré, tandis que la valeur alimentaire chute. Pour assurer une bonne conservation des ensilages, il faudra viser entre 35 et 40 % de matière sèche.
Dans une ration d’engraissement, l’utilisation d’herbe conservée peut nécessiter l’ajout d’un complément énergétique selon la valeur alimentaire de cette herbe, les objectifs de croissance et la catégorie animale. Néanmoins, la quantité de complément azoté pour équilibrer la ration est souvent réduite.

Pour des vaches de réforme, l’ajout d’herbe enrubannée, ensilée ou des méteils seuls ou associés à l’ensilage de maïs offre des croissances honorables (900 - 1300 g/j) dès lors que les rations contiennent plus de 0,8 UFV/kg de MS et entre 90 et 100 g de PDI/UF. Ce fourrage réduit voire supprime totalement la dépendance au concentré protéique, mais augmente le besoin en céréales par rapport à des rations à base d’ensilage de maïs (cf. tableau). La présence de légumineuses conservées comme l’enrubannage de luzerne permet de s’affranchir du tourteau comme le montrent les essais conduits à la ferme de Jalogny pour engraisser ses vaches de réforme. Récolter un enrubannage de luzerne au stade bourgeonnement et le complémenter avec de l’orge génère une économie de l’ordre de 120 à 130 kg de concentrés par vache par rapport à un enrubannage d’herbe fauché vers 1000 °C et complémenté avec de l’orge et du tourteau.

Exemple de rations d’engraissement de vaches de réforme allaitantes testées en stations expérimentales (ferme de Thorigné-d’Anjou, Jalogny, ferme des Etablières)

Chez des jeunes bovins alimentés avec des rations à base d’ensilage de maïs, les croissances sont réduites de 130 g/j avec l’ajout de 35 % d’herbe et de 50 g/j avec 20 % d’herbe. Dans les deux cas, l’atelier dépend davantage des céréales, mais moins du tourteau. 
Avec des rations sèches, l’ajout d’herbe jusqu’à 35 % est une solution avantageuse, car elle réduit le concentré énergétique (-200 kg) et protéique (-330 kg) sans affecter les croissances. 
Quel que soit le système, l’ajout d’herbe nécessite d’augmenter sa sole dans l’élevage de 2 à 3 ha pour 30 JB engraissés/an au détriment d’une autre culture (maïs, céréales).

Conduire l’engraissement des femelles en plusieurs phases

La finition des femelles peut être scindée en plusieurs phases : 

  • Pré-engraissement, où les femelles reçoivent une ration fibreuse à base d’herbe pâturée ou conservée,
  • Engraissement (ou finition), avec une ration plus dense en concentrés, notamment en énergie. 

Ce levier réduit la croissance pendant la 1ère phase, allongeant ainsi la durée de finition. La dépendance envers le correcteur azoté est réduite, mais le besoin en concentré énergétique est augmenté.

Rationner les vaches en engraissement

En cas de stocks de fourrages et/ou de concentrés limités, une restriction peut être envisagée sur tout ou partie de la finition de vaches de réforme. Il faut cependant conserver des densités énergétiques et protéiques habituellement utilisées en finition (0,85 UFV/kg MS ; 90 à 95 g PDI/UF). Pour une ration à base d’ensilage de maïs, une réduction de 35 % en moyenne des quantités totales offertes allonge de 16 jours l’engraissement pour atteindre un même gain de poids vif. L’économie par vache est de l’ordre de 200 kg MS d’ensilage de maïs, 29 kg MS de tourteau de soja et 23 kg MS de blé.

Finir des femelles au pâturage : utiliser l’herbe comme concentré !

Pour atteindre et maintenir des croissances élevées au pâturage, il est nécessaire d’offrir une herbe de qualité. Un pâturage précoce au printemps jusqu’au stade « épi à 10 cm », puis de repousses feuillues de moins de 6 semaines assurent une croissance de 1000 g/j ou plus en vaches de réforme et génisses à l’engrais, sans ajout de concentré. Toutefois, selon la qualité et quantité d’herbe à disposition et les performances visées, un faible apport en concentrés ou en fourrages peut être envisagé. D’après des essais en cours aux Etablières, un engraissement estival avec 100 % d’herbe est possible, en prévoyant une durée de finition supérieure à un engraissement au printemps (+90 jours), qui bénéficie de la productivité et qualité de l’herbe. 

Pour aller plus loin :

Contact :

Jérémy Douhay, Idele, tél : 06 77 69 31 36
Bertrand Deroche, Idele, tél : 06 34 90 13 30

Les chiffres concernant le coût de production ou le prix de revient contenus dans cette publication ne peuvent pas être considérés comme des indicateurs de référence pour la contractualisation calculés par IDELE dans le cadre prévu par la loi EGALIM 2. Pour en savoir plus consultez nos pages Indicateurs de référence pour la contractualisation.