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En élevage bovins lait, des solutions pour maîtriser son coût alimentaire

Comment éviter un dérapage des coûts alimentaires sur fond de nouvelle flambée des matières premières ?

Publié le par Benoit Rouillé (Institut de l'Elevage)
Alimentation - Abreuvement Coûts de production Cultures fourragères Systèmes fourragers Bovin lait
La situation en Europe de l’est, et notamment en Ukraine, entraine une flambée des prix des matières premières et des dérapages sur les coûts alimentaires sont donc à craindre. Au vu des prix atteints à ce jour, cette nouvelle envolée des intrants pourrait se traduire par une hausse importante et rapide sur le coût de production des ateliers laitiers français. Pour en atténuer les effets, quelques recommandations s’imposent dans l’anticipation et la gestion de l’alimentation des vaches laitières.

Impact économique de l’augmentation du prix des matières premières 

Les éleveurs suivis par les Réseaux d’élevage utilisaient en 2020 en moyenne 165g et 230g de concentré par litre de lait produit respectivement pour la production biologique et conventionnelle. Environ 75% est acheté à l’extérieur de l’exploitation, point de fragilité dans un contexte de hausse des matières premières. Selon la place qu’occupe le maïs fourrage dans l’alimentation des vaches, la nature de ces concentrés peut s’avérer très différente : beaucoup de correcteurs azotés à base de tourteaux de soja ou de colza dans les systèmes où le maïs est dominant, et à l’inverse davantage de concentrés énergétiques à base de céréales dans les systèmes herbagers. Lorsque les prix des tourteaux et des céréales s’envolent de façon concomitante, comme c’est à nouveau le cas aujourd’hui, ce sont donc tous les ateliers laitiers français qui risquent d’en payer les conséquences.

Des élevages plus exposés que d’autres à la volatilité du prix des intrants

Pour un même type de système fourrager, on observe des différences importantes entre élevages sur leur niveau de recours aux achats d’intrants (concentrés et fourrages, engrais, carburants, gaz et électricité). Par exemple, en système maïs dominant de plaine, les élevages les plus économes en intrants (quartile inférieur sur le poids des achats d’intrants dans le coût de production hors charges supplétives) se situent en moyenne à moins de 200g de concentrés / litre et autoproduisent environ 1/3 de ce qu’ils utilisent. A l’opposé, les moins économes consomment en moyenne plus de 250g/l et en autoproduisent en moyenne moins de 15%. Compte-tenu du poids important des achats d’aliments dans le coût de production des ateliers, la flambée actuelle du prix des matières premières va ainsi impacter plus fortement le revenu des élevages les moins autonomes. A noter aussi que, plus la part de maïs dans la SFP est importante et plus le niveau de chargement est important (UGB/ha), plus le poste achat d’engrais pèse lourd dans le coût de production des ateliers. 

Recommandations pratiques pour les mois à venir 

Les rations de fin d’hiver

Pour économiser du concentré, favoriser l’ingestion de fourrages et limiter le gaspillage

Les fourrages constituent la part principale de la ration. La mise à disposition des fourrages doit permettre à tous les animaux d’en consommer à volonté : un cornadis par vache à l’auge, 0,5m de barre au garrot, 1m pour 3 vaches en libre-service. Les fourrages présentés doivent être appétents pour en maximiser l’ingestion : retrait des parties moisies à la reprise ou dans le tas, retrait quotidien des refus à l’auge. Et pour faire des fourrages herbagers de bonne qualité nutritionnelle, il faut veiller à récolter à un stade précoce, avec de l'herbe jeune et riche. Ainsi, les dates d'exploitation sont primordiales : fauche pour les ensilgaes, foins et enrubannages, et hauteur entrée pour le pâturage.
Les ensilages sont désilés avec précaution : découpe franche du front, absence d’ébranlement du tas au godet ou à la pince, nettoyage du pied de silo, maintien de la bâche plaquée sur le front de silo avec une double rangée de boudins. Ces pratiques empêchent l’air de rentrer dans le tas en cours d’utilisation, ce qui réduit les risques de perte d’appétence en particulier, voire de dégradation de valeur nutritive. Les foins sont distribués et déroulés chaque jour, en associant des coupes complémentaires.
L’ajustement du niveau « énergie/azote » de la ration est le premier élément. Dans une ration mélangée équilibrée, dont le niveau azoté recherché est de 110g PDI/UFL, une réduction de 10g PDI/UFL correspond à l’économie de 1,0kg de tourteau de soja ou 1,5kg de colza par vache et par jour. Le rapport de prix entre le correcteur azoté et le lait sera déterminant pour évaluer l’intérêt économique de cet ajustement.

Le rendement marginal des concentrés baisse avec un niveau élevé de concentré : « le plus n’est pas le mieux »

En période de démarrage du pâturage, la ration des vaches laitières évolue dans des proportions différentes en fonction des régions. Mais réduire les quantités de concentrés est une solution efficace pour réaliser des économies. De plus, cette action et ses effets sont réversibles rapidement pour reprendre une production normale. Cependant, l’effet d’une diminution des apports de concentrés sera plus ou moins important en fonction de la ration printanière. Mais dans tous les cas, il faut continuer à maintenir un apport de fourrages de qualité (pâturage et/ou fourrages conservés). En parallèle de ce levier, il est aussi envisageable de limiter l’apport d’une partie du correcteur azoté sur des rations riches en ensilage de maïs mais cela aura des conséquences fortes sur la baisse de production. 


Parallèlement à ces recommandations, la gestion des stocks fourragers reste primordiale.

 

S’adapter à la ration du moment

 

Ration du moment

Baisse du concentré

de production

Baisse du correcteur azoté

Pâturage dominant 

-0,8 à -1 kg lait/VL/jour par kg concentré brut/VL/jour

Levier non mobilisable car correcteur azoté non distribué

Pâturage + fourrages conservés

-0,5 à -0,8 kg lait/VL/jour par kg concentré brut/VL/jour

A partir d’une ration équilibrée :

-1,7 kg lait/VL/jour pour -1 kg de tourteau de soja

-5,0 kg lait/VL/jour pour -2 kg de tourteau de soja

* équivalence : 1kg tourteau de soja pour 1,5 kg tourteau de colza

Ration 100% fourrages conservés 

-0,5 kg lait/VL/jour par kg concentré brut/VL/jour

 Source : Idele, 2020

 

Avec un prix de base du lait à 380€/1000 litres, un prix de concentrés de production à 300€/t et un prix du correcteur azoté à 480€/t, pour un troupeau de 60 vaches laitières produisant 25 litres de lait par jour pendant 30 jours, une approche simple en budget partiel permet de démontrer que :

 

  • Diminuer l’apport de concentré de production de 2 kg bruts par vache et par jour entrainerait un maintien de la performance économique de la ration, malgré une production laitière en baisse,
  • Si le concentré de production monte à 400€/t (au lieu de 300€/t) et que le prix de base du lait reste à 380€/1000 litres, la performance économique peut même s'améliorer de 200€ à 400€ sur 1 mois en fonction de la quantité économisée.
  • Diminuer l’apport de correcteur azoté de 1 kg brut par vache et par jour entrainerait une perte de 300 à 500 € sur un mois, avec une baisse importante de la production laitière,
  • Diminuer l'apport de correcteur azoté de 2 kg brut par vache et par jour est une solution à éviter car la perte financière serait en moyenne supérieure à 1500€ sur 1 mois, à cause d'une baisse drastique de la production laitière.

Les coproduits : une solution d’opportunité

Les coproduits peuvent permettre de remplacer à moindre coût les concentrés habituellement utilisés dans la ration des vaches laitières. Mais avant d’incorporer un coproduit dans l’alimentation des animaux, l’éleveur doit définir la place qu’il souhaite lui donner dans son plan de rationnement : une solution de dépannage ponctuelle (sécheresse, stocks insuffisants), une réaction face à une très bonne opportunité (prix attractif), ou une utilisation régulière. Dans le cas d’une flambée du coût des matières premières, c’est surtout la stratégie d’opportunité qu’il convient de mettre en place, à condition de bien maîtriser deux paramètres : la valeur nutritive du coproduit acheté (analyses) et le prix d’intérêt par rapport aux autres matières premières.

⇒ Consulter le site du Comité National des Coproduits

Le pâturage

Parvenir à une bonne gestion du pâturage : mettre à l’herbe tôt et contrôler la hauteur d’herbe 

La saison de pâturage a déjà bien débutée France pour 2022. Pour assurer une bonne valorisation de cette ressource économique, la mise à l’herbe nécessite une transition progressive entre le régime hivernal, à base de fourrages conservés plus ou moins riches en MS, et l’herbe jeune très aqueuse (15% MS). Une transition trop rapide se traduit par un transit digestif trop rapide dans lequel l’herbe est mal valorisée. Les premiers jours, les vaches ne séjournent sur la pâture que quelques heures en milieu de journée, puis la journée entière, enfin nuit et jour lorsqu’il n’y a plus de risque de gelée. Durant la transition, qui dure au moins 2 semaines, les vaches continuent de recevoir les fourrages hivernaux lors des périodes de stabulation.

La sortie s’effectue le plus tôt possible, dès que le sol est portant. Le pâturage commence en pratique à une hauteur d’herbe de 9-10cm (herbe à la cheville). Cette pratique permet d’utiliser une herbe feuillue de bonne valeur nutritive dès la mise à l’herbe, de favoriser le tallage et donc d’obtenir des repousses feuillues, enfin d’empêcher l’épiaison qui diminue la valeur alimentaire de l’herbe et éclaircit la prairie. L’alimentation concentrée est maintenue en début de transition ; elle est ajustée en fin de transition selon la part d’herbe dans la ration et la qualité de l’herbe.

L’herbe jeune et feuillue couvre la production d’un troupeau à 25kg de lait

Un troupeau à production laitière potentielle de 25kg de lait, consommant de l’herbe pâturée sans complémentation avec une hauteur d’herbe en entrée de parcelle de 10 à 12cm, et une hauteur d’herbe en sortie de 5,5 à 6cm, a une ingestion moyenne de 16 à 18kg MS/vache/jour. Ceci assure une production laitière de 25kg de lait. Dans ce troupeau, les vaches ayant une production laitière supérieure consomment plus d’herbe et l’herbe pâturée leur assure un niveau de lait plus élevé mais sans satisfaire les plus forts potentiels. 

Le concentré au pâturage ? « A consommer avec modération », à cause des rendements marginaux faibles 

Au pâturage, en conditions non limitantes (plus de 5,5cm de hauteur d’herbe ; stade feuillu ; herbe non souillée), les vaches ont une capacité d’ingestion d’autant plus importante que leur potentiel de production est élevé. L’apport de concentrés se substitue d’autant plus à de l’herbe, fourrage très ingestible, riche en énergie et en protéines, que le potentiel laitier de la vache est faible. L’apport de 1kg de concentré au pâturage a une efficacité moyenne de 0,8kg de lait et peut atteindre 1,0kg de lait dans les conditions optimales mais jamais plus ! 

Choisir un concentré énergétique, parce que l’herbe est riche en azote 

L’herbe jeune et feuillue est un aliment riche en énergie et en azote. Si l’on veut apporter du concentré en complément du pâturage, il faut choisir un aliment énergétique. Des céréales broyées ou aplaties conviennent. Ce concentré doit être réservé aux fortes productrices (> 28-30kg lait) ou aux animaux en début de lactation. Cet apport sera effectué dans la limite de 2 à 3kg par vache pour en optimiser l’usage.

En cas de complémentation fourragère, assurer une transition et ajuster la correction azotée

En cas d’apport fourrager complémentaire après une période de plein pâturage, il est nécessaire d’assurer une transition pour permettre l’adaptation de la flore ruminale qui assurera la valorisation maximale de la ration fourragère. Selon le niveau d’introduction de complément fourrage, la transition durera de 5 à 10 jours. Lorsque l’herbe pâturée constitue plus de la moitié de la ration, il n’est pas nécessaire de corriger le fourrage complémentaire en azote, celui apporté en excédent par l’herbe assurant la correction. Avec un apport de maïs ensilage supérieur à une demi-ration, celui-ci sera corrigé en azote.

Pour aller plus loin