En élevage bovin lait, gérer au mieux la pénurie de fourrages
Diversifier les ressources fourragères et optimiser le système de production
Si la trésorerie fourragère semble tendue, réaliser son bilan fourrager est indispensable pour répartir les ressources et mettre en place dès cet automne les adaptations qui s’imposent, pour éviter les ruptures brutales dans la conduite ou l’alimentation.
- Implanter des cultures fourragères à récolter au printemps
- Ajuster les pratiques ou la conduite alimentaire
- Ajuster les effectifs
- Acheter du fourrage ou du concentré
Mais au-delà de ces mesures d’urgence, il convient de prendre du recul sur l’évolution climatique en marche dans le pays et dans le monde. Les étés comme celui de 2022 vont devenir la norme, voire la fourchette basse, dans les années qui viennent. Réfléchir à des adaptations pérennes sera moins coûteux, sur le moyen et long terme, que de gérer des situations d’urgence.
Augmenter la surface fourragère
Si des surfaces sont disponibles pour augmenter la surface fourragère au détriment des cultures de vente, mieux vaut prioriser la production de fourrages. En effet, même si le prix des céréales est attractif aujourd’hui, rien n’est écrit pour l’année prochaine. De plus, produire son fourrage permet de maîtriser la quantité, la qualité et son coût, alors que lors d’un achat, il faut composer avec l’offre disponible et parfois subir un prix élevé.
Au-delà du raisonnement à court terme sur la production de fourrage pour l’année qui vient, augmenter la surface fourragère peut aussi permettre de reconstituer un stock fourrager de sécurité.
Le méteil fourrager
L’implantation de méteil fourrager à l’automne permettra de récolter du fourrage dès le mois de mai. Avec l’objectif de produire du volume, le produit sera fibreux mais relativement bien équilibré. Il conviendra aux génisses et vaches taries, voire aux vaches en lactation si l’objectif de production est modéré. Après la récolte, l’implantation d’une graminée estivale type moha/millet ou d'un sorgho multi-coupe peut s’envisager si de la pluie est annoncée (15-20 mm nécessaires pour la levée), mais le maïs est déconseillé sans irrigation.
Exemple de méteil fourrager :
Semis : 2e quinzaine d’octobre
Récolte : 2e quinzaine de mai
Fertilisation : 30 à 50 unités d’azote
mélange au semis | Valeur attendue |
---|---|
80 kg/ha de triticale 80 kg/ha de blé 30 à 40 kg de pois fourrager 3 à 5 kg de vesce | Rendement 5 à 7 TMS/ha 0.65 à 0.75 UFL 70 à 90 PDI 1.08 à 1.15 UFL selon mode de récolte |
Le Ray-Grass Italien
Le RGI a l’avantage d’être facile d'implantation et permet une production précoce. Implanté entre le 15 août et le 1er octobre, il peut permettre des récoltes d’un fourrage de qualité dès le mois d’avril/mai de l’année suivante. Les variétés alternatives seront un peu plus dynamique au démarrage mais ne pourront pas rester en place plus d'un an.
Comme pour le méteil, attention à ne pas tomber dans le piège de l’intensification : sans irrigation, implanter un maïs derrière une ou deux coupes de RGI est plus qu’aléatoire. Il vaut mieux garder le RGI sur 12 ou 18 mois.
Implanter un maïs précoce
Pour les parcelles les plus légères, implanter un maïs ensilage avec un indice de précocité autour de 250 permettra un premier ensilage de maïs début août. Ce petit stock tampon permettra de commencer à distribuer du maïs début septembre.
Chasse au gaspillage
Quand les temps sont durs, chaque brin de fourrage compte ! Il faudra être particulièrement vigilant cet hiver sur les petits gestes qui, cumulés, permettront d’économiser quelques tonnes de matières sèches.
Pâturage d’automne et d’hiver
Avec des sécheresses qui persistent souvent jusqu’au mois d’octobre ou novembre, le pâturage d'automne est souvent compromis. En revanche, avec des hivers de plus en plus doux, la pousse de l’herbe hivernale augmente. Il y a donc plus de difficulté à gérer l'herbe au printemps, avec à la clé plus de fauches, plus de refus et une baisse de la qualité de l’herbe.
Nettoyer les parcelles avant le redémarrage de la végétation permettra d’être moins sous pression au printemps et d'améliorer la qualité de la prairie (qualité de l'herbe, tallage...) Pour éviter d'abîmer les prairies dans l’hiver, optez pour un chargement très faible et préférez des animaux à faible besoin. Si vous voulez sortir les vaches en lactation, les conditions de portance doivent être correctes. En tout les cas, il ne faut pas avoir peur des températures basses pour les animaux.
Limiter les pertes au stockage
Si l’ensilage de maïs n’est pas encore réalisé, il est encore temps de prendre toutes les mesures nécessaires pour obtenir un tassement parfait des silos. Ainsi, les pertes seront limitées et la qualité du fourrage sera optimisée en évitant l’échauffement du front d’attaque. Gildas Cabon, d’Arvalis Institut du Végétal, estime que « les pertes de matière sèche peuvent représenter 8 à 9 % par semaine pour un échauffement de 5 °C. Et souvent cela chauffe beaucoup plus ».
En silo couloir, le tassage ne doit pas être sacrifié au débit de chantier. Si les remorques risquent d’arriver trop vite, mieux vaut prévoir un deuxième tracteur pour tasser, et remplir deux silos simultanément. En silo taupinière, où le tassage des pentes est plus compliqué, il faut favoriser la confection de silo les plus larges et plats possible.
Pensez également à la période estivale, pendant laquelle la vitesse d’avancement optimale passe de 15 à 30 cm/jour. Prévoir un silo plus petit pour cette période permettra de limiter les pertes.
Limiter les pertes à l’auge
Plusieurs petits gestes quotidiens peuvent permettre de limiter les refus et les pertes à l’auge :
- Repousser le fourrage plus fréquemment
- Donner les refus des vaches aux grosses génisses
- Si le maïs est trop sec, réhydrater la ration en rajoutant de l’eau dans la mélangeuse
- Hacher plus finement les éléments grossiers ou moins appétents
- Quand il fait chaud, passer à deux distributions par jour
- Enrubannage : une botte doit être consommée en 2-3 jours maximum
- S’équiper de cornadis pour éviter que le foin soit tiré dans les cases
Dernier recours : réduire les effectifs ou acheter des aliments ?
Si les idées proposées plus haut ne sont pas suffisantes pour retrouver une cohérence entre effectif et stock fourrager, les éleveurs sont confrontés à un choix plus difficile : faut-il acheter du fourrage, du concentré, ou réduire le nombre de bouches à nourrir ?
Ce choix dépendra de l’ampleur du déficit, du type de fourrage manquant (fibre ou énergie), de la trésorerie, de l’offre de fourrage disponible, du prix des concentrés… et bien sûr du prix du lait. La formule magique n’existe pas et chaque situation doit être étudiée au cas par cas.
Dans un contexte du prix du lait plutôt porteur, la réduction des effectifs passera d’abord par l’anticipation des réformes ou des tarissements. Aller plus loin dans la décapitalisation sera à faire au compte-goutte, quand toutes les autres pistes auront été creusées.
L’achat de fourrage est toujours une opération délicate. Le foin ou l’enrubannage est le plus facile à transporter, mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, il sera à réserver aux génisses. Le maïs irrigué sur pied, quand c’est encore possible, permettra de s’assurer un fourrage de qualité pour les vaches en lactation. Dans tous les cas, mieux vaut prioriser les relations de voisinage, pour pouvoir se déplacer pour évaluer la qualité et discuter de vive voix avec le vendeur.
Les aliments du commerce “spécial sécheresse”, souvent à base de pulpe de betterave ou de bouchon de luzerne, peuvent être une solution, même s’ils risquent d’être chers cet hiver vu le prix des céréales et de l’énergie. Ils ont cependant l’avantage d’avoir une valeur alimentaire garantie et constante.
Pour remplacer une partie du maïs ensilage, l’achat de co-produits humides et/ou concentrés en énergie peut être une solution du fait de l’encombrement qu’ils permettent. Néanmoins, le calcul du prix d’équivalence est indispensable pour évaluer la pertinence de cette stratégie. De plus, ces ressources risquent aussi d’être limitées du fait du contexte actuel (industries agro-alimentaires touchées par l’augmentation du coût de l’énergie, rendement en betteraves sucrières en baisse…).
Plus que des mesures correctives : s’adapter pour être plus résilient face aux aléas
Au delà, il est aujourd’hui nécessaire d’adapter son système de production aux aléas climatiques, de plus en plus fréquents et imprévisibles. Avec en trame de fond cette question : est-ce réaliste de maintenir les niveaux de chargement actuels ?
Diversifier pour sécuriser
La diversification des systèmes fourragers est certainement le levier de sécurisation le plus efficace, car comme dit l’adage, il ne faut pas “mettre tous ses œufs dans le même panier !”. La diversité s’applique à toutes les échelles. D’abord, sur les cultures en elles-mêmes (sorgho, méteils, luzerne, chicorée, betterave, dérobées estivales…), mais aussi en intra-espèces, en utilisant plusieurs variétés, selon la précocité notamment.
Diversifier les ressources fourragères implique généralement de réduire la surface en maïs. De ce fait, le rendement moyen en TMS par hectare de SFP va probablement diminuer. Ainsi, à effectif constant, la surface de SFP devra augmenter. Si toute la SAU est déjà allouée au troupeau, une réduction du nombre d’UGB semble inévitable.
Diminuer l'âge au vêlage
Cela permettra de réduire le nombre d’UGB sans impacter le volume de lait produit à l’échelle de l’exploitation. Mais attention, l’âge au vêlage optimum n’est pas forcément 24 mois, notamment si les génisses pâturent beaucoup ou valorisent des ressources inadaptées pour les vaches laitières. Il est donc à réfléchir suivant des critères techniques (repères de poids aux périodes clés de la croissance), économiques et suivant les caractéristiques des surfaces fourragères de l’exploitation.
Réduire les objectifs de performance
Cela permettra d’être plus souple sur la composition de la ration, donc de s’adapter plus facilement à une ressource fourragère plus fluctuante à l’avenir. Cette question doit particulièrement se poser la veille d’un gros investissement. Cela peut aussi améliorer les taux, les résultats de reproduction, la santé et la longévité des animaux… et ainsi réduire le taux de renouvellement, donc le nombre d’UGB génisse.
Regrouper les vêlages à l’automne
Cela permettra de diminuer les besoins pendant l’été, pour limiter l’impact du stress thermique et s’adapter à une ressource fourragère plus rare en début d’automne. De plus, cela évite d’avoir à inséminer pendant les fortes chaleurs estivales. Ce levier concerne particulièrement les systèmes pâturant et avec salle de traite.
Le pâturage
Il permet de valoriser des ressources fourragères difficilement récoltables. Même si le pâturage classique s’arrête de plus en plus tôt à cause de la sécheresse et de la chaleur, l’herbe pâturée en début de saison reste un aliment équilibré à haute valeur nutritive. L’allongement du pâturage est possible grâce à d’autres cultures (sorgho, betteraves, dérobées estivales, colza fourrager…), il sera de plus en plus pertinent ponctuellement l’hiver et démarrera également de plus en plus tôt au printemps.
Plus qu’un levier à choisir, c’est une combinaison d’actions qui doit être mise en œuvre sur l’exploitation pour passer cette année compliquée. Et au-delà de ces leviers de court terme, il est nécessaire d'engager une réflexion d'adaptation sur le moyen et long terme. Ce sont des choix stratégiques de longue haleine qui permettront de rendre les systèmes laitiers plus robustes face au changement climatique.