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En élevage caprin, gérer au mieux la pénurie de fourrage

Evaluer plus précisément les stocks et ajuster la conduite du troupeau

Publié le par Bertrand Bluet (Institut de l'Elevage)
Systèmes fourragers Alimentation - Abreuvement Caprin
Des stocks de fourrage limités voir insuffisants impliquent nécessairement un impact négatif sur les résultats technico-économiques de l’atelier caprin. Pour autant, avec de l’anticipation dès le début de la campagne, le choix d’une stratégie claire et une vigilance quotidienne accrue, il est possible d’atténuer cet impact. Cet article propose quelques pistes de réflexion à adapter à chaque situation.

Être encore plus vigilant sur la gestion des effectifs

Une meilleure gestion des stocks passe avant tout par limiter le nombre d’animaux à nourrir au strict nécessaire. L’effectif doit être cohérent avec l’objectif de production et doit être ajusté tout au long de la campagne.

Réformer régulièrement

Selon les systèmes alimentaires, la quantité de fourrage distribuée par chèvre varie de 500g à 3kg par jour. Pour un troupeau de 200 chèvres avec 30% de renouvellement, reculer le moment de la réforme de 2 mois peut donc entrainer une surconsommation jusqu’à 11 T de fourrages. Ainsi, il convient de réformer les chèvres dès qu’elles ont atteint un des critères propres à chaque exploitation et chaque période : faible niveau de production, échec à la reproduction, problèmes morphologiques ou sanitaires… Il peut donc être utile d’avancer ou d’augmenter la fréquence des mesures : contrôle de performance, échographies etc.

Ajuster au mieux le renouvellement

Le nombre de chevrettes élevées doit être raisonné plus finement en fonction des besoins du troupeau. Bien souvent, les éleveurs ont tendance à garder plus de chevrettes pour conserver une marge de sécurité. La situation actuelle peut être l’occasion de faire un bilan des années précédentes pour réévaluer le besoin de renouvellement. Certaines stratégies de conduite, comme le recours aux lactations longues, peuvent également permettre de réduire le besoin en renouvellement.

Réduire ponctuellement la part d’animaux à forts besoins

Des chèvres taries consomment un peu moins de fourrage et surtout nécessitent moins de fourrage de qualité. En cas de pénurie ponctuelle, dans certaines stratégies de reproduction, on peut augmenter la proportion de chèvres taries sur une campagne en faisant par exemple moins de lactations longues.

Maîtriser la distribution du fourrage et faire la chasse au gaspillage

La différence entre la quantité de fourrage utilisée et celle réellement ingérée par les animaux est très variable. Elle dépend de la nature du fourrage et de sa qualité, du type d’auge et de la gestion de la distribution. Ces points sont donc à repenser dans chaque situation. Des économies conséquentes peuvent être par exemple réalisées en supprimant les apports « libre-service » tout en veillant à ce que du fourrage soit toujours disponible à l’auge, en effectuant plusieurs « petites » distributions à la place d’une « grande », en surveillant les refus pour les limiter au strict nécessaire (5 à 10% selon la nature du fourrage), en aménageant les auges pour limiter les fourrages tirés en litière etc.

Trouver une méthode adaptée à chaque situation pour mesurer les quantités distribuées quotidiennement et anticiper d’éventuelles dérives est important : systèmes de pesées sur matériel de distribution, enregistrement des poids et nombres de bottes utilisées etc.

Enfin, en système pâturant ou en affouragement en vert, il convient d’étudier toute possibilité de valorisation des repousses automnales tout en veillant à maintenir une ration de qualité. Des rations mixtes stocks et herbe verte peuvent alors être envisagées.

Faire un bilan fourrager précis, planifier et suivre la distribution

Un bilan fourrager, c’est-à-dire l’analyse de la balance entre les besoins en fourrages et les stocks, peut être fait avec divers degrés de précision. En situation de pénurie, une fois les mesures précédemment citées prises, une approche fine du bilan fourrager s’impose et le suivi hebdomadaire de l’évolution du stock est indispensable.

Prédire avec précision les effectifs, planifier les réformes

En élevage caprin, les effectifs d’animaux par catégorie peuvent évoluer fortement au cours de la campagne, les besoins des animaux évoluent avec le stade de lactation et au-delà du foin ingéré, la gestion de la distribution impacte fortement les quantités de fourrages utilisés. Estimer les besoins mois par mois, lot par lot, type de fourrage par type de fourrage, peut s’avérer nécessaire dans des situations complexes.

 

Exemple d’estimation des besoins pour 1 lot

 

Distribution LOT Mise bas de printemps en kg brut

 

 

 

effectif

Foin bon

Foin moyen

Enrubannage

Maïs

Granulé

/Jour

/chèvre

/mois

lot

/Jour

chèvre

/mois

lot

/Jour

/chèvre

/mois

lot

/Jour

/chèvre

/mois

lot

/Jour

/chèvre

/mois

lot

Janvier

80

 

 

2,5

6200

 

 

0,3

744

0,1

248

Février

80

1,5

3360

 

 

1,5

3360

0,5

1120

0,2

448

Mars

75

1,7

3952,5

 

 

1,5

3487,5

0,8

1860

0,4

930

Avril

75

1,7

3952,5

 

 

1,5

3375

0,8

1800

0,4

900

Mai

72

1,7

3794,4

 

 

1,5

3348

0,8

1785,6

0,4

892,8

Juin

72

1,5

3240

 

 

1,5

3240

0,8

1728

0,4

864

Juillet

72

1,5

3348

 

 

1,5

3348

0,7

1562,4

0,35

781,2

Août

70

1

2170

0,6

1302

1,5

3255

0,7

1519

0,35

759,5

Septembre

65

1

1950

0,6

1170

1,5

2925

0,6

1170

0,35

682,5

Octobre

65

1

2015

0,6

1209

1,5

3022,5

0,6

1209

0,3

604,5

Novembre

60

1

1800

0,6

1080

1,5

2700

0,6

1080

0,3

540

Décembre

60

1

1860

0,6

1116

1,5

2790

0,6

1116

0,3

558

TOTAL BRUT

 

31442

 

12077

 

34851

 

16694

 

8208,5

TOTAL/animal

446

171

494

237

116

 

Mesurer les stocks avec précision

Les poids des bottes, les tailles et densités des silos, les taux de matière sèche des différents fourrages utilisés peuvent être très variables. Surestimer de 50kg 200 bottes de foin ou surestimer de 10% de matière sèche 200 bottes d’enrubannage, cela peut amener à se tromper de 8T de MS dans les stocks soit de quoi nourrir potentiellement une quinzaine de chèvre.

Il est donc nécessaire de peser plusieurs bottes par catégorie de fourrage, de cuber les silos et d’analyser les taux de matière sèche de tous les fourrages humides.

Au-delà du stock global, il est important d’évaluer les quantités de fourrages par nature et par qualité pour planifier au mieux la distribution dans la campagne : les meilleurs fourrages en démarrage de lactation etc. L’organisation des stocks pour que chaque fourrage soit accessible au bon moment est important et doit s’anticiper au moment du stockage.

 

Faire un plan du hangar de stockage et anticiper l’utilisation des fourrages

PLANIFIER ET SUIVRE LA DISTRIBUTION

Planifier la distribution permet d’une part de s’assurer de disposer des bons fourrages au bon moment, et d’autre part de disposer d’un outil de suivi d’utilisation des stocks et d’anticiper d’éventuelles dérives. La planification de la distribution de chaque catégorie de fourrage sur la campagne doit donc être effectuée.

Exemple de planification de la distribution du fourrage pour un lot de 300 chèvres en mises bas de septembre

Acheter du fourrage ou réduire l’effectif ?

En cas d’un manque limité de fourrage, il convient de comparer l’intérêt d’un achat complémentaire lorsque c’est possible (disponibilité, gestion de trésorerie etc.) par rapport à une réduction de l’effectif.

ESTIMER L’IMPACT D’UN ACHAT DE FOURRAGE

Avant toute chose, la question se pose de la qualité du fourrage acheté au regard du fourrage disponible sur l’exploitation. S’il est de nature ou de qualité différente, il faudra repenser la répartition du fourrage dans la ration quotidienne mais aussi dans le planning de distribution annuel (en fonction des objectifs de production, des stades de lactations des lots etc.) Bien que cela ne soit pas toujours évident, il est nécessaire également d’estimer l’impact de l’introduction de ce fourrage, positif ou négatif, sur le niveau de production global du troupeau.

LE COMPARER À CELUI DE LA BAISSE DE L’EFFECTIF

Une fois cette estimation effectuée, il faut alors comparer le coût d’achat du fourrage et l’évolution estimé du produit (positif ou négatif) par rapport à l’impact économique de la réduction de l’effectif. Pour cela, il faut évaluer la marge sur coût alimentaire (lait produit*prix du lait – coût de la ration) des animaux les moins productifs qui seront réformés. A noter que dans certains contextes, une légère baisse de l’effectif peut avoir une incidence positive sur le niveau de production des animaux restants, en augmentant les surfaces d’aire paillée disponibles par chèvre et les accès à l’auge, ou sur la valorisation du lait en réformant les animaux à cellules etc. Enfin la remontée ultérieure de l’effectif peut être anticipée avec l’élevage de chevrettes supplémentaires moins exigeantes en termes de quantité et qualité de fourrage. On peut alors intégrer le coût d’élevage de ces chevrettes supplémentaires dans le calcul comparatif.

L’intérêt de l’une ou l’autre des solutions est très variable en fonction des contextes, des niveaux de productions, des systèmes et coûts alimentaires et de la valorisation du lait. Toute la difficulté est de connaître avec précision ses résultats technico-économiques et de faire les bonnes hypothèses. Globalement, l’achat de fourrage sera à privilégier s’il est de qualité et s’il est destiné à des animaux à niveau de production correcte.

Exemples de raisonnements pour le choix entre achat de fourrage ou baisse d’effectif

Utiliser des aliments en substitution partielle du fourrage


Lorsqu’acheter du fourrage de qualité n’est pas possible, il convient de saisir toute autre opportunité d’aliment de substitution. Il n’existe alors pas de solution toute faite. Chaque opportunité doit être étudiée avec précaution. D’une part il faut vérifier les équilibres de rations : apports énergétiques et protéiques de la ration, fibrosité chimique et physique, facteurs de risques (taux d’amidon et de MG etc.) etc. D’autre part il faut repenser la gestion de la distribution et le pilotage quotidien (nombre et répartition des repas, modalités d'introduction dans la ration, indicateurs de suivi etc.) A noter que seuls des déshydratés d’herbe (le plus souvent de luzerne) contenant des fibres d’au moins 2mm peuvent se substituer en partie à du fourrage. Le reste est affaire de prix d’intérêt. Dans certaines situations, comme pour l’achat de fourrage, il peut être préférable de réduire l’effectif de chèvres plutôt que d’acheter des aliments pour maintenir un niveau de production.

Pour aller plus loin:

Piloter la ration des chèvres

Des indicateurs liés à l'observation des troupeaux pour ajuster le rationnement des chèvres laitières
 

Maîtriser la ration des chèvres

L'alimentation pratique des chèvres laitières

Outils & projets