En élevage ovin lait, gérer au mieux la pénurie de fourrage
Ajuster la conduite du troupeau et faire au mieux
Gérer la fin de gestation
Une grande proportion des troupeaux ovins lait français entre ou se prépare à entrer dans les deux derniers mois de gestation des brebis. Une phase où les besoins s’accroissent rapidement du fait du développement rapide du ou des agneaux portés. Les agneaux, qui font 80 % de leur croissance dans les 6 dernières semaines, consomment la majorité des protéines et de l’énergie ingérées par la mère. Même si le fourrage de qualité et peu encombrant risque de manquer cette année, il est important de ne pas l’économiser en toute fin de gestation quand la capacité d’ingestion diminue, et de couvrir en parallèle les besoins protéiques des brebis. En effet, si les brebis mobilisent de façon trop importante leurs réserves corporelles, elles risquent la toxémie de gestation ainsi qu’une forte perte d’état corporel pendant l’allaitement qui se traduira par une perte de production laitière et un état corporel qui va continuer de dégringoler pendant la campagne laitière.
La pulpe de betterave ou la mélasse permettent un apport de sucres facilement digestibles et peuvent réduire les risques. Pour les protéines, des tourteaux tannés ou les drèches de brasserie peuvent augmenter la part de protéines valorisables par l’animal.
Être encore plus vigilant sur la gestion des effectifs
Une meilleure gestion des stocks passe avant tout par limiter le nombre d’animaux à nourrir au strict nécessaire. L’effectif doit être cohérent avec l’objectif de production - qui peut lui-même être revu - et doit être ajusté tout au long de la campagne à venir.
Réformer régulièrement
Selon les systèmes alimentaires, la quantité distribuée de fourrage par brebis varie de 100 à plus de 600 kg de MS par brebis, soit potentiellement jusqu’à 2 kg de MS par jour. Pour un troupeau de 300 brebis avec 25% de renouvellement, retarder le moment de la réforme de 2 mois peut donc entrainer une surconsommation jusqu’à 9 t de fourrages. Ainsi, il faut prévoir de réformer de façon stricte les brebis, dès qu’elles ont atteint un des critères propres à chaque exploitation et chaque période : faible niveau de production, échec à la reproduction, problèmes morphologiques ou sanitaires… Il peut donc être utile d’avancer ou d’augmenter la fréquence des mesures : contrôle de performance, échographies etc.
Ajuster au mieux le renouvellement
Le nombre d’agnelles élevées va devoir être raisonné plus finement encore en fonction des besoins du troupeau. Il est parfois tentant de garder plus d’agnelles pour conserver une marge de sécurité. La situation actuelle peut être l’occasion de faire un bilan des années précédentes pour réévaluer le besoin de renouvellement. Attention, l’objectif de ce bilan n’est pas de diminuer le taux de renouvellement – ce qui pourrait pénaliser le troupeau au niveau génétique – mais bien de faire le point sur les taux de mortalité des années précédentes et d’ajuster au mieux le nombre de femelles élevées.
Revoir à la baisse les objectifs de production
Si la situation n’évolue pas favorablement comme en 2018 avec des possibilités de pâturage d’automne voire de nouvelles coupes, la lactation démarrera avec des stocks fourragers au plus bas. Les possibilités d’achats de fourrages étant déjà réduites dans certaines zones, il faudra peut-être envisager un niveau de production au démarrage de la traite plus faible pour ce début de campagne. Un écrêtement du pic de lactation peut être suivi d’une bonne persistance laitière.
Maîtriser la distribution du fourrage et faire la chasse au gaspillage
La différence entre la quantité de fourrage utilisée et celle réellement ingérée par les animaux est très variable. Elle dépend de la nature du fourrage, du type d’auge et de la gestion de la distribution. Ces points sont donc à repenser dans chaque situation. Des économies conséquentes peuvent être par exemple réalisées en supprimant les apports « libre-service » tout en veillant à ce que du fourrage soit toujours disponible à l’auge, en effectuant plusieurs « petites » distributions à la place d’une « grande », en surveillant les refus pour les limiter au strict nécessaire (5 à 10 % selon la nature du fourrage), en aménageant les auges pour limiter les fourrages tirés en litière par exemple.
Trouver une méthode adaptée à chaque situation pour mesurer les quantités distribuées quotidiennement et anticiper d’éventuelles dérives est important : systèmes de pesées sur matériel de distribution, enregistrement des poids et nombres de bottes utilisées etc.
Enfin, pour le pâturage et l’affouragement en vert, il convient d’étudier toute possibilité de valorisation des repousses automnales tout en veillant à maintenir une ration de qualité. Des rations mixtes stocks et herbe verte peuvent alors être envisagées. Attention cependant à ne pas survaloriser ces éventuelles repousses, pour ne pas endommager les prairies.
Faire un bilan fourrager précis, planifier et suivre la distribution
Un bilan fourrager, c’est-à-dire l’analyse de la balance entre les besoins en fourrages et les stocks, peut être fait avec divers degrés de précision. En situation de pénurie, une fois les mesures précédemment citées prises, une approche fine du bilan fourrager s’impose et le suivi hebdomadaire de l’évolution du stock est indispensable.
Estimer avec précision les effectifs, planifier les réformes
Au cours de la campagne, les besoins des animaux évoluent avec le stade de lactation. Aussi, au-delà du foin ingéré, la gestion de la distribution impacte fortement les quantités de fourrages utilisés. Estimer les besoins mois par mois, lot par lot, type de fourrage par type de fourrage, peut s’avérer nécessaire dans des situations complexes.
Mesurer les stocks avec précision et estimer la qualité des fourrages
Les poids des bottes, les tailles et densités des silos, les taux de matière sèche des différents fourrages utilisés peuvent être très variables. Surestimer de 50 kg le poids de 200 bottes de foin ou surestimer de 10 % de matière sèche 200 bottes d’enrubannage, cela peut amener à se tromper de 8 t de MS dans les stocks soit de quoi nourrir potentiellement plus d’une dizaine de brebis.
Il est donc nécessaire de peser plusieurs bottes par catégorie de fourrage, de cuber les silos et d’analyser les taux de matière sèche de tous les fourrages humides s’il y en a.
Au-delà du stock global, il est important d’évaluer les quantités de fourrages par nature et par qualité pour planifier au mieux la distribution dans la campagne : les meilleurs fourrages en démarrage de lactation etc. L’organisation des stocks pour que chaque fourrage soit accessible au bon moment est importante et doit s’anticiper au moment du stockage.
Enfin, encore plus que d’habitude, l’analyse des valeurs alimentaires des fourrages peut s’avérer très utile. En effet, si un fourrage est meilleur que prévu, on peut couvrir les besoins en en donnant un peu moins donc on économise.
Planifier et suivre la distribution
Planifier la distribution permet d’une part de s’assurer de disposer des bons fourrages au bon moment, et d’autre part de disposer d’un outil de suivi d’utilisation des stocks et d’anticiper d’éventuelles dérives. La planification de la distribution de chaque catégorie de fourrage sur la campagne doit donc être effectuée.
Acheter du fourrage ou réduire l’effectif ?
En cas d’un manque limité de fourrage, il convient de comparer l’intérêt d’un achat complémentaire lorsque c’est possible par rapport à une réduction de l’effectif.
Estimer l’impact d’un achat de fourrage
Avant toute chose, la question se pose de la qualité du fourrage acheté au regard du fourrage disponible sur l’exploitation. S’il est de nature ou de qualité différente, il faudra repenser la répartition du fourrage dans la ration quotidienne mais aussi dans le planning de distribution annuel (en fonction des objectifs de production, des stades de lactations des lots etc.) Bien que cela ne soit pas toujours évident, il est nécessaire également d’estimer l’impact de l’introduction de ce fourrage, positif ou négatif, sur le niveau de production global du troupeau.
Le comparer à celui de la baisse de l’effectif
Une fois cette estimation effectuée, il faut alors comparer le coût d’achat du fourrage et l’évolution estimé du produit (positif ou négatif) par rapport à l’impact économique de la réduction de l’effectif. Pour cela, il faut évaluer la marge sur coût alimentaire (lait produit*prix du lait – coût de la ration) des animaux les moins productifs qui seront réformés. A noter que dans certains contextes, une légère baisse de l’effectif peut avoir une incidence positive sur le niveau de production des animaux restants, en augmentant les surfaces d’aire paillée disponibles par brebis et les accès à l’auge, ou sur la valorisation du lait en réformant les animaux à cellules etc. Enfin la remontée ultérieure de l’effectif peut être anticipée avec l’élevage d’agnelles supplémentaires moins exigeantes en termes de quantité et qualité de fourrage. On peut alors intégrer le coût d’élevage de ces agnelles supplémentaires dans le calcul comparatif.
L’intérêt de l’une ou l’autre des solutions est très variable en fonction des contextes, des niveaux de productions, des systèmes et coûts alimentaires et de la valorisation du lait. Toute la difficulté est de connaître avec précision ses résultats technico-économiques et de faire les bonnes hypothèses. Globalement, l’achat de fourrage sera à privilégier s’il est de qualité et s’il est destiné à des animaux à niveau de production correcte.
Utiliser des aliments en substitution partielle du fourrage
Lorsqu’acheter du fourrage de qualité n’est pas possible, il convient de saisir tout autre opportunité d’aliment de substitution. Il n’existe alors pas de solution toute faite. Chaque opportunité doit être étudiée avec précaution. D’une part il faut vérifier les équilibres de rations : apports énergétiques et protéiques de la ration, fibrosité chimique et physique, facteurs de risques (taux d’amidon et de MG etc.) etc. D’autre part il faut repenser la gestion de la distribution et le pilotage quotidien (nombre et répartition des repas, indicateurs de suivi etc.) A noter que seuls des fourrages déshydratés (le plus souvent de la luzerne) contenant des fibres d’au moins 2mm peuvent se substituer en partie à du fourrage. Le reste est affaire de prix d’intérêt. Dans certaines situations, comme pour l’achat de fourrage, il peut être préférable de réduire l’effectif de brebis plutôt que d’acheter des aliments pour maintenir un niveau de production.
Anticiper sur la gestion du parcellaire
Si les conditions s’améliorent à l’automne, anticipez toutes les pistes pour réduire la période de manque. Les possibilités vont dépendre de la zone pédoclimatique mais les choix des semis d’automne peuvent se tourner vers des variétés précoces et qui font du volume.
Le RGI par exemple a l’avantage d’avoir un cycle très court. Implanté entre le 15 août et le 15 septembre, il peut permettre des récoltes d’un fourrage de qualité dès le mois d’avril/mai de l’année suivante. Si la parcelle est pâturable, préférez une variété alternative : celle-ci n’aura pas besoin d’une période de froid pour démarrer son cycle. Ainsi, un premier pâturage en fin d’automne ou dans l’hiver pourra s’envisager (selon la pousse et la portance).
Il peut aussi être intéressant de réfléchir à l’implantation de prairies multi-espèces qui offrent plus de souplesse face aux aléas climatiques : si une espèce meurt dans une prairie qui en contient 4, c’est moins grave que si elle meurt dans une parcelle en pur.
Le méteil fourrager peut aussi constituer une piste. Il se sème à l’automne, est peu gourmand en intrants et sa récolte est précoce. Il permet d’obtenir du volume et une fibrosité intéressante.
Enfin, pour cette période délicate, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre conseiller pour envisager toutes les pistes possibles.
Pour aller plus loin
Maîtriser la ration des brebis à chaque stade
Contact: Barbara Fança
Cet article a été rédigé avec les apports et les relectures d’Emmanuel Morin (Idele), Manon Poquet (Service Elevage de la Confédération Générale de Roquefort), Odile Salatto (CA 64), Angélique Somera, Jean-Michel Noblia (CDEO), et Philippe Hassoun (INRAE).