Diviser par deux nos émissions de GES : mythe ou réalité ?
Les limites de la neutralité carbone
L’observation des données collectées dans CAP2ER® montrent des seuils difficiles à franchir. Tout d’abord, les exploitations qui parviennent à la neutralité sont rares et ont des systèmes peu généralisables. Même dans les fermes ayant les empreintes carbone les plus faibles, il semble difficile de descendre sous la barre des 0.8 kgeqCO2 d’émission/litre de lait. Au sein d’un même groupe typologique, ce sont les émissions qui expliquent les écarts entre les fermes, c’est-à-dire des différences d’optimisation technique. Entre les différents groupes typologiques, c’est le stockage de carbone qui fait la différence : la part de prairie permanente dans la SAU est plus importante dans les systèmes herbagers de montagne que dans les systèmes polyculteurs de plaine.
Une simulation sur un cas-type herbager pâturant a poussé le système jusqu’à la neutralité (émissions entièrement compensées par le stockage de carbone) pour en mesurer les impacts. La performance nourricière de l’exploitation est divisée par deux, à surface constante, et le revenu est divisé par trois. Le coût d’une telle transition s’élève à 200 €/1000 litres, et semble irréalisable à court terme.
Pour respecter les accords de Paris, faut-il intensifier ou extensifier ?
Les deux stratégies ont été testées sur un cas-type Breton, une exploitation laitière spécialisée avec du maïs et un peu de pâturage. Dans la voie d’extensification, la production laitière diminue pour aller vers plus d’autonomie et de prairies permanentes, quand la voie de l’intensification vise à mieux optimiser les gaz à effet de serre émis en produisant plus de lait par vache. Dans les deux cas, une amélioration des résultats techniques est également supposée.
Le scénario d’extensification est le plus compatible avec le respect des accords de Paris, car il permet d’atteindre une baisse de 44% des émissions, mais une généralisation de ce scénario conduirait à une fragilisation des filières et une remise en cause de l’indépendance française en produits laitiers. Le scénario d’intensification quant à lui ne permet pas tout à fait d’atteindre les objectifs de réduction des émissions, mais il permet de maintenir le revenu et le potentiel nourricier.
Le choix du scénario ne pourra pas reposer uniquement sur les éleveurs. Des décisions politiques sont à prendre pour orienter l’agriculture et l’élevage à l’échelle française. Et les marchés agricoles étant pour la plupart mondialisés, ces décisions ne pourront être déconnectées de l’orientation internationale.
Les scénarios étudiés posent aussi la question du coût de la transition. Faire reposer l’intégralité des coûts d’adaptation et d’atténuation sur les éleveurs risque d’accélérer la déprise laitière. Il est nécessaire de répartir équitablement les coûts sur tous les échelons de la filière. Ceci-dit, les éleveurs ont des leviers d’optimisation technique à leur disposition pour améliorer leur empreinte carbone, qui sont aussi souvent améliorateurs au niveau économique. Chaque maillon de la chaîne devra faire sa part pour permettre l’atteinte des objectifs.