Dossier Espagne - filière caprine (Dossier Economie n°491 - septembre 2018)
L’Espagne caprine : de fournisseur de matière première à concurrent à l’export ?
L’Espagne est un acteur majeur sur le marché du lait de chèvre de l’UE à 28. Avec près de 3 millions de têtes, dont plus de 2,4 millions de chèvres et chevrettes saillies, elle dispose du deuxième cheptel caprin européen après la Grèce (soit 24% du cheptel européen). Elle est également le deuxième pays producteur de lait de chèvre, juste derrière la France et loin devant les Pays-Bas. Depuis 2017, elle s’est même hissée au rang de 1er pays collecteur, avec 478 millions de litres. En moins de dix ans, la filière caprine espagnole a profondément changé. Notre précédente étude en 2010 titrait : « La filière laitière caprine en Espagne - Les aléas d’une production d’appoint ». Elle révélait sa dépendance à la demande française de lait « matière première », exporté en vrac ou en caillé congelé, qui représentait jusqu’à 20 % des volumes produits. Depuis, la filière caprine a été durement impactée par l’effondrement de la demande française de lait de chèvre lors de la crise des surstocks entre 2009 et 2012, mais aussi par les profondes mutations dans le secteur bovin lait espagnol avec la fin des quotas laitiers. Elle n’a eu d’autre choix que de se restructurer et de revoir son positionnement commercial.
À l’amont de la filière, les élevages se sont spécialisés avec une séparation plus franche entre systèmes caprins et ovins et un agrandissement marqué des exploitations. À l’aval, les coopératives et les transformateurs privés se sont restructurés. Ainsi, plusieurs coopératives andalouses se sont unies en 2010 pour former Procasur (devenue D-Coop depuis), année où la coopérative Uniproca a également vu le jour en Estrémadure. Autre exemple le groupe français Lactalis est devenu le numéro un du marché des fromages de l’autre côté des Pyrénées suite au rachat de Forlasa et Ebra Puleva. Plus récemment, le groupe espagnol Quesería La Fuente a racheté le groupe Montesinos (2014) et le suisse EMMI s’est offert Lacteos Caprinos (2016). Enfin, en février 2018, la coopérative D-Coop annonçait la conclusion d’un partenariat avec son homologue française AGRIAL avec des investissements en commun pour optimiser le dépotage et réception du lait, mais également pour le traitement du lait et la fabrication de produits intermédiaires et de fromages. Cette mutation du paysage industriel espagnol s’est accompagnée d’une volonté de mieux valoriser le lait de chèvre et les produits caprins, avec une progression très marquée des fabrications de fromages pur chèvre, des investissements dans la production de poudre de lait de chèvre et la recherche de nouveaux débouchés, notamment à l’export.
Simultanément, la filière caprine s’est collectivement organisée. La section caprine de l’interprofession laitière (INLAC) s’est, depuis 2015, dotée de moyens financiers afin d’améliorer le suivi de la filière, de mener des actions collectives et des études. La mise en application du “Paquet Lait” a notamment rendu obligatoire la contractualisation entre acheteurs et producteurs et l’amélioration de la transparence avec l’obligation pour les premiers acheteurs de déclarer à l’administration les volumes mensuels collectés auprès des producteurs.
L’ensemble de ces évolutions énumérées illustre le dynamisme d’une filière. Certes, de nombreuses fragilités persistent : la production reste fragmentée, l’accompagnement technique semble insuffisant et la dépendance à la demande des industriels français est toujours très forte. Mais la filière caprine espagnole semble s’émanciper progressivement du rémunérateur débouché français et jouer de sa compétitivité pour commercialiser toujours davantage de produits finis, fromages ou poudre de lait, sur des marchés à l’export autrefois trustés par les transformateurs français et néerlandais.