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Les producteurs laitiers fermiers face au Covid 19

Les adaptations mises en place au travers de 5 témoignages

Publié le par Hélène Le Chenadec (Institut de l'Elevage), Cécile Laithier (Institut de l'Elevage)
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L’annonce du confinement le 17 mars dernier a chamboulé le quotidien de nombreux producteurs laitiers fermiers aux quatre coins de la France. Fabriquant des produits frais ou des fromages, livrant ou non à une laiterie… tous ont dû faire preuve d’une étonnante réactivité pour ne pas jeter leur lait. À travers le témoignage de cinq producteurs laitiers fermiers, nous vous proposons de revenir sur les différentes adaptations mises en place pour faire face à cette crise sanitaire.

 

Adapter sa production en recourant à de nouvelles technologies fromagères

 

Du jour au lendemain, les producteurs ont dû trouver des solutions pour ne pas jeter leur lait. Une option simple pour les producteurs mixtes a été de transférer, lorsque cela fut possible, tout ou une partie du lait dans le tank destiné à la laiterie. Mais pour les producteurs transformant la totalité de leur lait, il a fallu trouver d’autres alternatives. Certains ont tenté de réduire la production de lait en passant une partie du troupeau en monotraite, et en diminuant les concentrés. Mais il n’est pas si facile de réguler la production de printemps, il donc a fallu trouver des méthodes de report de fabrication, en recourant notamment à de nouvelles technologies fromagères.

 

 

  • À la chèvrerie de Bliquetuit en Normandie, Mickael et Noémie ont décidé de transformer la totalité du lait en pâtes pressées. « La tomme se conserve plus longtemps et consomme plus de lait. Cependant, après deux mois d’affinage, notre tomme est plus sèche et convient moins bien à nos clients. La fabrication a été adaptée en vue d’une conservation plus longue, de 3 à 4 mois. Nous avons travaillé sur le choix des ferments, la température à l’emprésurage et le temps de brassage, afin d’avoir une pâte plus souple et une tomme plus crémeuse. » La fabrication de tomme est assez répandue chez les chevriers pour absorber le pic de lactation.
  • Mais pour Jean-Philippe Bonnefoy, éleveur de chèvres et producteur de fromage fermier dans le département de Saône-et-Loire, et également Vice-Président de la FNEC, cette technique n’avait pas été utilisée depuis plusieurs années. « Il a fallu bricoler un peu. J’ai utilisé un ancien tank à lait auquel j’ai ajouté un brasseur. C’est une fabrication où le résultat n’est visible qu’au bout de plusieurs semaines, c’est ce qui nous inquiétait. Nos premières tommes sont un peu crayeuses, mais en lien avec le centre fromager, les fabrications se sont améliorées et les tommes suivantes sont plus souples ».
  • En dehors des pâtes pressées, certains éleveurs ont également diversifié leur gamme de produits, en lien avec de nouveaux circuits de vente. « Avec les livraisons à domicile, il faut innover un peu. Les gens ne mangent pas toutes les semaines le même fromage », a témoigné Rens Van Doorm, éleveuse de chèvres dans l’Hérault. Produisant habituellement du fromage en AOP Pélardon, Rens s’est lancé dans la fabrication de fromages cendrées et de bûches. « Cela prend énormément de temps, car je n’ai pas le matériel nécessaire. Je fais avec les moyens du bord ». Elle a utilisé les moules à tomme et une toile pour égoutter le caillé lactique, puis les bûches ont été façonnées à la main. Pendant un temps, elle a également dû congeler du caillé lactique en s’appuyant sur les conseils de la technicienne locale. Ce caillé ne deviendra jamais Pélardon, car la congélation n’est pas autorisée dans l’AOP. Mélangé avec du caillé frais, il pourra être utilisé pour la fabrication d’autres fromages lactiques.

 

Trouver de nouveaux circuits de vente et communiquer autrement

 

Fermeture des restaurants, des rayons à la coupe dans les supermarchés, annulation des marchés, effondrement des expéditions de produits vers les grands bassins de consommation… les effets du confinement ont été immédiats, et certains producteurs ont dû jeter du lait et des produits.

 

 

 

  • Malgré cette situation difficile, de nombreuses initiatives ont été mises en place pour permettre la vente des produits : livraison de colis, drive fermier, livraison à domicile… Ces nouvelles formes de commercialisation ont rassemblé producteurs de lait, de légume, de viande, de miel… et ont permis des échanges entre filières ! « Chacun s’est décarcassé pour trouver des partenaires » nous a confié Guillaume Eudier, producteur laitier fermier dans le Pays de Caux en Normandie, et Vice-Président de l’AVDPL Normandie. Dans l’ensemble, ceux qui ont pris de telles initiatives ont à peu près retrouvé leur volume d’activité, mais à quel prix ? Le temps passé pour la commercialisation est largement supérieur pour réaliser le même chiffre d’affaire. Si la logistique des commandes peut être épuisante (téléphone, réseaux sociaux…), les producteurs ont l’air satisfaits des circuits de vente mis en place, bien que cela ne soit pas tenable sur la durée.

 

La Chèvrerie de Bliquetuit avait rapidement pris la décision de fermer la boutique à la ferme, pour se protéger du virus et sécuriser l’activité de la chèvrerie. « Si on tombe malade, personne ne viendra faire notre travail. Afin de trouver une solution commerciale sans prendre de risques, nous avons développé un drive à la ferme, en association avec un voisin maraicher ». Afin d’éviter l’échange de monnaie et de minimiser le temps de présence des personnes sur la ferme, un site internet a été créé, permettant aux clients de commander et de payer en ligne. Les réseaux sociaux ont été essentiels pour communiquer auprès des clients. « Avec le succès du drive fermier, nous souhaitons par la suite le conserver et remplacer une partie des ventes à la ferme ».

 

Ayant mis en place des livraisons à domicile, Rens a passé beaucoup de temps sur la route. « Je n’ai jamais été autant dehors ! ». Les livraisons ont été réalisées à des points collectifs dans les petits villages où c’était possible, et à domicile pour les communes plus peuplées, afin d’éviter les rassemblements. La prise de commande et la communication ont été très chronophages. Utilisant d’abord le téléphone et les réseaux sociaux, elle a ensuite géré les commandes via un tableur en ligne. Déjà très active sur internet, elle y a passé encore davantage de temps. « Chaque semaine, je remercie les clients pour leurs commandes, je poste des photos. »

Avec ces solutions commerciales très gourmandes en temps, il semble difficile pour les agriculteurs déjà saturés de s’adapter. Des initiatives locales et nationales ont heureusement permis un accès au supermarché et une réouverture des marchés de proximités.

 

  • Dans les Vosges, Yves Grandemange, chargé des vendeurs directs à la FNPL, comptait habituellement sur la saison touristique pour vendre en direct son munster fermier et une tomme locale, la Barcasse. Certaines GMS ayant communiqué pour aider les producteurs locaux, la Ferme Grandemange a tenté sa chance. Mais ne répondant pas à certaines exigences réglementaires, ce fut d’abord un refus. Différents syndicats agricoles, dont la FNEC et la FNPL, ont bataillé pour que ces freins administratifs puissent être levés. « C’est un des derniers circuits de commercialisation identifié ici, il faut que les GMS jouent le jeu. Il a fallu rappeler certaines flexibilités qui existaient déjà avant le confinement pour les producteurs fermiers, comme la dérogation à l’étiquetage nutritionnel ». La réouverture des marchés locaux a également semblé essentielle. D’après Jean-Philippe, « les possibilités de dérogations ont été très rapides, le temps pour les mairies d’évaluer les risques et de réorganiser les marchés ».

 

Si les marchés locaux ont été stoppés pendant un temps, Guillaume a pu observer une explosion de ses ventes dans les petits commerces. « Les gens souhaitaient acheter plus près. Beaucoup de voisins nous ont demandé de venir acheter les produits à la ferme. Nous avons dit non dès le départ, en expliquant que nous continuions d’approvisionner les magasins locaux ».

 

Depuis le confinement, beaucoup de consommateurs semblent avoir découvert les filières de proximités. « Ces personnes se rappelleront, j’espère, que des producteurs sont juste à côté. C’est un atout pour l’avenir des circuits courts : il faudra rester bon pour leur donner envie de revenir acheter nos produits par la suite ».

Avec les gestes barrière, maintenir le contact avec le consommateur et capter durablement ces nouveaux clients sera sans doute le défi de ce déconfinement !

 

Nous remercions chaleureusement Mickael et Noémie Leclerc de la Chèvrerie de Bliquetuit (Seine-Maritime), Guillaume Eudier (Seine-Maritime, Vice-Président de l’AVDPL Normandie), Rens Van Doorm (Hérault), Yves Grandemange (Vosges, chargé des vendeurs directs à la FNPL) et Jean-Philippe Bonnefoy (Saône-et-Loire, Vice-Président de la FNEC) pour leurs témoignages.

 

Crédit photo : La Chèvrerie de Bliquetuit, ANICAP