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Intérêts et limites de l’Analyse de Cycle de Vie pour fournir une information environnementale sur les produits de l’élevage herbivore

Publié le par Armelle Gac, Jean-Baptiste Dollé (Institut de l'Elevage), André Le Gall (Institut de l'Elevage)
Evaluation environnementale Multiperformance - Développement durable Bovin lait Bovin viande Caprin Equin Ovin lait Ovin viande
En ce début d’année 2020, les actualités sont riches concernant l’affichage environnemental des produits de grande consommation et en particulier des produits alimentaires : loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (qui prévoit l’expérimentation d’un affichage volontaire), diffusion à venir de la base de données Agribalyse 3.0 contenant des données d’impacts environnementaux des produits alimentaires obtenus par ACV (analyse du cycle de vie).

Dans ce contexte, il importe de fournir aux consommateurs et à la société en général, via la grande distribution, la restauration ou les nouveaux vecteurs numériques (réseaux sociaux, applications, etc.), l’information la plus juste, la plus complète et la plus objective possible, si nécessaire en l’accompagnant de nuances, afin d’éclairer en conscience les choix de chacun. L’enjeu reste bien in fine d’aboutir à une amélioration de la qualité environnementale globale, de l’échelle locale à l’échelle planétaire, via l’amélioration des pratiques, en veillant à réduire les effets anthropiques qui génèrent des dérèglements environnementaux (changement climatique, qualité de l’air, etc.), tout en préservant les atouts offerts par nos modèles agricoles (biodiversité, paysages, etc.).

 

Ces enjeux sont particulièrement prégnants dans les filières d’élevage herbivore, qui fournissent produits laitiers et carnés. Ces systèmes de production sont en effet tout à la fois ciblés pour leur impact sur le climat (14,5% des émissions de gaz à effet de serre mondiales (FAO, 2013) en considérant l’ensemble de la filière, de la production aux produits finis ; empreintes carbone de la viande de ruminants parmi les plus hautes des produits alimentaires, sans prise en compte du stockage de carbone), mais également identifiés comme les seuls garants du maintien des surfaces en herbe et comme acteurs majeurs de la polyculture-élevage. Cela les rend pourvoyeurs de nombreux services écosystémiques (biodiversité faunistique et floristique, fertilité des sols, stockage de carbone et régulation climatique, ouverture des paysages, lutte contre les crues et avalanches, etc.). Cet élevage herbivore permet aussi de valoriser des surfaces maintenues en prairies, qui ne peuvent pas être cultivées. Il valorise ainsi des ressources, qui ne sont pas en concurrence avec l’alimentation humaine et qui permettent de produire des protéines de très bonne qualité. 

 

Pour fournir des informations environnementales fiables et robustes sur les produits, c’est actuellement la méthode d’Analyse de Cycle de Vie qui est utilisée. Pertinente pour comptabiliser les impacts environnementaux, en particulier à l’échelle globale (tels que le changement climatique), elle rend cependant encore mal compte des services environnementaux rendus par les systèmes agricoles. Ainsi, limiter l’information environnementale aux indicateurs d’impacts comptabilisés habituellement par l’ACV en occultant les services rendus est réducteur pour certaines productions, en particulier issues de l’agriculture biologique et des systèmes herbivores. Par ailleurs, ces informations, rapportées aux produits, sont généralement exprimées par kg, ce qui dégrade les indicateurs des productions les plus extensives, généralement pourvoyeuses de plus de services (environnementaux, culturels,..), par rapport à d’autres systèmes plus productifs.

Dans ces conditions, utiliser l’ACV pour réaliser des comparaisons entre produits ou définir des voies d’amélioration des pratiques risque de conduire à des conclusions erronées et à des décisions contreproductives d’un point de vue environnemental global.

 

 

L’objet de la présente note est de fournir un éclairage scientifique et technique sur les intérêts et limites de l’ACV dans son application aux systèmes qui fournissent des denrées alimentaires issues des élevages herbivores, lait et viande. Elle s’appuie sur une bibliographie récente des acteurs français de la R&D en évaluation environnementale des systèmes d’élevage. L’Institut de l’Elevage fournit ainsi son avis sur le sujet, en tant qu’organisme de recherche appliquée au secteur de l’élevage, travaillant à la fois au côté des professionnels de cette filière, de la recherche publique et des pouvoirs publics depuis de nombreuses années, sur la thématique de l’évaluation environnementale appliquée aux produits agricoles et alimentaires.

 

 

L’ACV : des apports pour l’évaluation environnementale des systèmes d’élevage…

 

L’Analyse de Cycle de Vie (ACV) est un cadre conceptuel pour l’évaluation environnementale des biens et services qui fait l’objet d’une norme (ISO, 2006). A l’origine développée pour la production industrielle, pour raisonner la performance environnementale en termes de volume produit, cette approche méthodologique est aujourd’hui appliquée aux domaines agricoles et alimentaires. Le fait d’intégrer la pensée en cycle de vie (du berceau à la tombe) et multicritère permet, d’une part, de considérer les effets indirects associés en amont des systèmes de production, tels que les effets environnementaux délocalisés (par exemple la déforestation associée à la production de tourteau de soja en Amérique du Sud) et, d’autre part, d’adopter une vision large des différents effets environnementaux afin d’éviter les transferts de pollution. La méthode consiste à inventorier des flux de polluants associés au fonctionnement d’un système (par exemple, émissions de méthane, protoxyde d’azote et dioxyde de carbone) puis à les agréger par impact potentiel (par exemple, le changement climatique).

 

Face à des enjeux environnementaux plus que jamais prégnants, l’évaluation environnementale des systèmes agricoles et alimentaires est aujourd’hui centrale. Les apports de l’ACV sont importants pour contribuer à répondre aux différents usages de ce type d’évaluation (rappelés notamment par Vertès et al. 2019) :

 

Pour le scientifique et l’ingénieur

  • comprendre les causes et leviers possibles pour les différents impacts et services
  • comprendre les sources de variabilité des résultats d’indicateurs de performance
  • identifier les interactions et compromis entre les différentes implications environnementales (éviter les transferts d’impact)
  • concevoir des outils d’amélioration continue (cf. CAP’2ER®) : caractérisation des pratiques, identification et quantification des marges de progrès

 

Pour l’éleveur, avec son conseiller

  • diagnostiquer une situation au travers d’un panorama des implications environnementales
  • identifier des pistes d’amélioration (écoconception), en faisant appel aux indicateurs techniques associés, et évaluer l’efficacité des leviers

 

Pour les acteurs des filières agricoles et agro-alimentaires

  • entrer dans des démarches de différenciation ou reconnaissance de la qualité de certains produits
  • constituer un outil d’accompagnement à l’écoconception des produits

 

Pour le consommateur, le citoyen, mais aussi pour les décideurs politiques

  • disposer d’une information fiable pour orienter les décisions et les politiques publiques.

 

Quel que soit l’usage, la finalité doit toujours rester l’amélioration des pratiques et des systèmes, en combinant, au besoin, différents types d’indicateurs (de pratiques, de pression, d’impact) lorsque les indicateurs de l’ACV ne suffisent pas à donner une image complète des interactions avec l’environnement ou à orienter la prise de décision opérationnelle par les acteurs.

 

 

… mais aussi des limites méthodologiques et apports attendus concernant certains enjeux environnementaux

 

Malgré tout son intérêt, des limites et voies de progrès ont été identifiées concernant l’application de l’ACV aux systèmes d’élevage (Aubin et al., 2019) et de manière plus générale aux systèmes agricoles basés sur les principes de l’agroécologie, tels que les systèmes en agriculture biologique (van der Werf et al., 2020), mais aussi une large part des systèmes d’élevage herbivores.

 

 

Exprimer les impacts par kg de produit revient à favoriser les systèmes les plus productifs

 

Concernant la manière d’exprimer les résultats, certains indicateurs (comme le carbone) sont pertinents ramenés au kg de lait ou de viande, d’autres le sont moins et sont plus adaptés à une expression à l’hectare lorsque les enjeux touchent à des problématiques locales (qualité de l’eau). Van der Werf et al. (2020) rappellent que cette analyse des indicateurs au kg produit peut amener à favoriser des systèmes les plus productifs qui auraient, par ailleurs, de plus forts impacts ramenés à l’hectare. Ceci est particulièrement vérifié pour les élevages herbivores. Cette tendance à exprimer les résultats par kg de produit, héritée de l’émergence de l’ACV dans le secteur industriel, considère l’agriculture au travers de sa fonction productrice (voir plus bas). Il est cependant possible d’adopter d’autres unités fonctionnelles (UF) que le kg produit, ou de les combiner entre elles, en fonction de l’objectif de l’évaluation et du point de vue recherché (par exemple territoire vs consommation).

Par ailleurs, alors que l’unité fonctionnelle au kg produit est courante, elle traduit mal l’ensemble des fonctions remplies par les aliments. Des unités traduisant les fonctions nutritionnelles seraient à adopter, à l’instar de l’unité par kg de protéines, elle-même partielle. Des travaux ont ainsi été menés par Interbev pour mettre au point une unité fonctionnelle qui traduisent les différentes composantes des apports nutritionnels du produit viande (Scislowski, 2015).

 

 

Pour la viande en particulier, des évaluations très sensibles aux modes d’allocation

 

Les modalités d’allocation des impacts entre les coproduits d’un même système (à l’étape élevage entre le lait et la viande, comme à l’étape transformation entre le muscle et les coproduits carnés) font également l’objet de débats entre les différents acteurs des filières alimentaires. Les points de vue de chacun étant influencés par son rôle, ses intérêts propres et l’effet de la règle d’allocation sur les résultats finaux. Ce débat, très difficile à résoudre, relève plutôt d’aspects politiques et stratégiques que d’une question scientifique et technique.

Par défaut, c’est généralement la règle d’allocation économique qui est retenue, notamment dans les bases de données qui traitent de plusieurs familles de produits, bien que ce choix ne soit pas celui qui apparait préférentiellement dans la norme ISO 14044. Pour les produits carnés issus des élevages, ce choix de l’allocation économique conduit à affecter la quasi-totalité de l’impact aux muscles et abats, car les coproduits d’abattage sont sous valorisés économiquement depuis la crise de l’ESB ; leur valeur économique traduit mal l’intérêt des usages qu’ils offrent.

Des travaux menés au sein de la filière viande ont permis de proposer une méthode alternative pour l’allocation aux coproduits carnés, basée sur une allocation biophysique appliquée à la partie transformation de la filière (Chen et al. 2016). Elle s’intéresse aux mécanismes physiologiques qui construisent les différentes parties de l’animal, répondant ainsi à la voie préconisée préférentiellement par la norme ISO 14044, de s’intéresser aux relations physiques qui lient les entrants et les sortants d’un système.

 

 

Des lacunes méthodologiques majeures autour du stockage de carbone, de l’occupation des surfaces et de la biodiversité

 

Concernant les indicateurs usuels de l’ACV, des améliorations sont toujours nécessaires. Ainsi, les modèles d’émissions, permettant d’estimer les pertes en nitrates ou les émissions de méthane entérique, sont en perpétuelle évolution par les travaux des agronomes et zootechniciens et ont vocation à être mobilisés dans le cadre de l’ACV une fois mis au point. Parmi les voies de progrès concernant le changement climatique, sont attendues en particulier des avancées sur la valeur du stockage de carbone par les prairies et les haies, objet de développements scientifiques (projet CARSOLEL en cours, piloté par Idele) et son intégration dans les ACV (Bessou et al., 2019).

Pour le moment, le plus souvent les ACV n’intègrent pas le stockage de carbone par les sols, ce qui constitue un biais méthodologique majeur pour rendre compte de l’impact d’un système agricole sur le changement climatique. La question du land use (occupation des surfaces) devrait aussi progresser pour permettre de distinguer terres arables et surfaces naturelles, potentiellement mécanisables ou non, à bon ou faible potentiel, que seul l’élevage peut valoriser. En fonction des méthodes d’agrégation ACV, les distinguos ne sont pas toujours possibles, ce qui a pour effet de pénaliser les systèmes extensifs, dont les systèmes en agriculture biologique et les systèmes herbivores, en particulier sur les surfaces à faible potentiel, généralement moins productifs et qui sont souvent les seuls à pouvoir valoriser ces surfaces, pourvoyeuses de services écosystémiques.

 

Par ailleurs, d’autres lacunes méthodologiques sont aujourd’hui clairement identifiées concernant la capacité à renseigner certains enjeux environnementaux majeurs dans le cadre de l’ACV : biodiversité, pesticides, qualité des sols (van der Werf et al., 2020 ; Martel et Manneville, 2019). Des avancées existent et des méthodes d’ACV émergent (Knudsen et al., 2017, Bos et al., 2017), mais leur application aux systèmes d’élevage herbivores reste à réaliser pour valider leur intérêt et leur sensibilité aux modes et pratiques d’élevage (objet du projet Oeko Beef, piloté par Interbev). Il importe pourtant que les spécificités des élevages herbivores sur ces enjeux majeurs puissent transparaitre dans les évaluations environnementales : l’élevage herbivore, en France, présente des contributions importantes à la biodiversité ordinaire (Chanseaume, 2014), grâce aux prairies permanentes et temporaires associant des légumineuses, souvent bordées de haies, talus, lisières, également réservoirs de biodiversité. Par ailleurs, les systèmes d’élevage herbivores limitent l’usage des pesticides (Tresch et Chartier, 2019) et favorisent la fertilité des sols (Petitjean et al., 2018).

Actuellement, sur ces sujets auxquels l’élevage herbivore contribue de manière positive, les indicateurs d’impacts potentiels actuellement utilisés par l’ACV cherchent à quantifier l’impact des activités anthropiques et s’expriment « en négatif » (les meilleurs sont moins négatifs que les autres et tout dépend de l’état de référence auquel on se compare).

 

 

La nécessité de coupler les approches, impacts et services, pour fournir une image complète des interactions de l’élevage avec l’environnement

 

Il est réducteur de ne voir les systèmes agricoles qu’au travers de leur fonction productrice, associée à des impacts négatifs sur l’environnement : la multifonctionnalité de l’agriculture est une réalité dans nombre de territoires d’élevage qui jouent différents rôles pour la société et la nature. Cette approche adoptée dans de nombreuses études ACV (en exprimant les résultats d’impacts négatifs uniquement par kg produit) est particulièrement dommageable pour les systèmes agricoles qui, comme l’élevage herbivore, génèrent une multiplicité de services (Van der Werf et al., 2020).

 

Au-delà de la seule thématique environnementale, les services rendus par les agroécosystèmes, dont les systèmes d’élevage abordent différents aspects de la durabilité. Ils peuvent être classés en quatre types (MEA, 2005) : services d’approvisionnement (ou de production, comme la fourniture de denrées alimentaires), support (ou service intrants tels que la photosynthèse ou formation des sols), culturels (aspects patrimoniaux et récréatifs) et de régulation (régulation du climat ou des crues, recyclage de déchets). Ce cadre conceptuel des services rendus permet de considérer de manière conjointe les aspects positifs ou négatifs (on peut parler alors de dysservices). Des approches ont été proposées pour représenter et évaluer ces biens, services et impacts de l’élevage (bouquets de services, concept de « la grange »), généralement appliqués à l’échelle de territoires pour alimenter le débat collectif sur les actions à mettre en œuvre (Dumont et Ryschawy, 2019, Dumont et al., 2019). Mais, leur transposition à des approches qui cherchent à disposer d’indicateurs sur le produit, pour une meilleure information du consommateur, au côté d’indicateurs d’impact, bien qu’identifiée reste encore à explorer.

 

Dollé et Gac (2017) ont dressé un bilan des méthodologies et indicateurs disponibles pour coupler évaluation des impacts environnementaux et des services écosystémiques en lien avec l’élevage herbivore. Le constat est que les principaux indicateurs d’impacts environnementaux de l’ACV touchant au changement climatique, à la qualité de l’air (acidification) et à la qualité de l’eau (eutrophisation) sont nécessairement à coupler avec des indicateurs traduisant les services environnementaux associés à ces systèmes, à minima pour les systèmes herbivores : le maintien de la fertilité des sols, le stockage de carbone et la biodiversité. L’enjeu, rappelé par van der Werf et al. (2020), est en effet d’améliorer l’ACV et de la compléter par d’autres indicateurs si nécessaire, pour une image plus complète et plus équilibrée.

Ces limites ont également été soulevées dans le cadre d’un projet Agribalyse concernant l’application de l’ACV aux systèmes en agriculture biologique (Gac et al., 2018) et peuvent s’appliquer à nombre de systèmes agricoles. En se focalisant sur les thèmes de la biodiversité et de l’usage des pesticides, emblématiques des pratiques en agriculture biologique, et en l’absence de méthode d’ACV actuellement opérationnelle et consensuelle sur ces sujets, des indicateurs complémentaires à l’ACV ont été proposés :

 

  1. IFT (indicateur de fréquence de traitement pour les pesticides)
  2. Infrastructures Agro-Ecologiques (IAE) et conversion en SET (Surface Equivalente Topographique),
  3. Surface développée en biodiversité : Inventaire IAE, puis conversion en surface d’hébergement de biodiversité (Méthode Biotex, Manneville et al., 2014),
  4. Score HVE : calculé en fonction du % IAE, du poids de la culture principale, nombre espèces végétales cultivées, nombre espèces animales élevées,
  5. Diversité des familles cultivées au sein d’une succession culturale (Méthode CRITER, Idele).

 

Il convient ainsi de rappeler que l’ACV n’est pas la seule méthode pour faire de l’évaluation environnementale multicritère (Vertès et al., 2019, Lairez et al., 2015). Il reste nécessaire de coupler les approches pour évaluer comment l’élevage s’inscrit dans le développement durable, face aux questionnements multiples de la société concernant ses rôles, services et impacts. L’information fournie aux consommateurs doit ainsi être multicritère et pas uniquement orientée sur l’évaluation des impacts, quitte à mixer les approches méthodologiques entre elles et, pourquoi pas, à faire également appel à des indicateurs plus frustes ou qualitatifs, pour les enjeux environnementaux pour lesquels les indicateurs chiffrés font pour le moment défaut.

 

Par ailleurs, dans le cadre de réflexions plus large, il peut être utile d’ouvrir le cadre de l’évaluation (extension de périmètre, ACV conséquentielles, prospectives) pour percevoir les effets indirects liés à des modifications de systèmes, qu’il s’agisse de modifications de systèmes agricoles ou du système alimentaire (habitudes de consommation, territorialisation de l’alimentation, etc.). Ainsi, Peyraud et al. (2019a) réaffirment le rôle indispensable de l’élevage au sein de systèmes agri-alimentaires durables et dressent les priorités de recherche. Salou et al. (2019) par une approche d’ACV conséquentielle, couplant l’évaluation environnementale à un modèle économique, ont ainsi étudié les effets environnementaux pour l’élevage de ruminants liés à des changements de politiques publiques (fin des quotas laitiers, prime à l’herbe) à une échelle mondialisée. Les conséquences environnementales liés à une réduction ou une disparition de l’élevage ont déjà été identifiées (Peyraud, 2019b). Une évaluation quantifiée à une échelle globale des effets induits par ce type de changements doit pouvoir éclairer les décideurs et les porteurs d’enjeux sur les modèles d’agriculture et de consommation à privilégier.

 

 

Quelques éléments de conclusion

 

Pour faire évoluer les systèmes de production et les pratiques de consommation, sans amener à des contre-effets environnementaux, il est nécessaire d’évaluer les impacts environnementaux négatifs et les contributions positives d’un système, en répondant à deux objectifs :

 

  • évaluer et bien évaluer, d’un point de vue scientifique et technique, en s’orientant, autant que possible, vers des méthodes homogènes construites dans un même cadre conceptuel et comparable d’un pays à l’autre ou d’un type de système à un autre,
  • rendre les indicateurs intelligibles et utiles aux acteurs qui devront se positionner et faire progresser leurs pratiques, qu’il s’agisse des agriculteurs, des pouvoirs publics ou des consommateurs.

C’est aujourd’hui l’approche adoptée par l’outil CAP’2ER® (idele.fr) dédié à l’évaluation environnementale des élevages herbivores, qui combine des indicateurs d’impacts, d’état et de pratiques, pour évaluer les impacts négatifs qui doivent être améliorés et mettre en avant les points positifs afin de les préserver et de les renforcer. L’objectif est ainsi de fournir à l’éleveur des repères techniques lui permettant d’orienter ses pratiques.

Concernant l’information environnementale sur les produits, le fait que le cadre conceptuel de l’ACV, aujourd’hui largement adopté par différents secteurs d’activité et ce au niveau international, fasse l’objet d’autant de débats méthodologiques et d’une dynamique scientifique soutenue y compris à l’échelle internationale, doit pousser à le faire évoluer rapidement pour que l’apport d’une telle information permette d’atteindre les objectifs visés.

La R&D montre aujourd’hui qu’elle est prête à ouvrir les cadres méthodologiques pour fournir cette information multicritère pertinente pour les différents acteurs. Les travaux et collaborations interdisciplinaires seront à poursuivre à l’avenir (entre écologues, zootechniciens, agronomes, ACVistes et sans doute aussi spécialistes du marketing et de la communication).

Dans l’attente d’une évolution satisfaisante des méthodes d’ACV, et dans la perspective proche de l’expérimentation sur l’affichage environnemental des produits, le couplage de différentes approches méthodologiques est nécessaire.

 

 

 

 

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Références bibliographiques 

 

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