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Connaissance de l'affinage des fromages fermiers lactiques

Résultats de 144 enquêtes téléphoniques auprès des producteurs

Publié le par Sabrina Raynaud (Institut de l'Elevage), Annabel Aumasson, Elodie Doutart (Institut de l'Elevage), Guillemette Allut (LRE (Languedoc Roussillon Elevage)), Julie Barral (LRE (Languedoc Roussillon Elevage) - C.A. Hérault (34)), Agnès Chabanon (FRESYCA), Sylvie Morge (PEP Caprins Rhônes Alpes), Marion Pétrier (CTFC Centre - C.A. Cher (18)), Valérie Leroux (CTFC Centre), Catherine Reynaud (ACTALIA Produits Laitiers Centre de Carmejane), Emilien Fatet (ACTILAIT), Yves Gaüzère (ENILBIO Poligny), Daniel Picque (INRAE), Jean-Yves Blanchin, Patrick Jean (ENILIA-ENSMIC), Cécile Laithier (Institut de l'Elevage)
Produits laitiers fermiers Caprin
En préalable à une étude appliquée sur l’affinage des fromages lactiques caprins fabriqués à la ferme, des enquêtes téléphoniques ont été conduites auprès de 144 producteurs. Elles ont permis de réaliser un état des lieux des locaux et équipements d’affinage, des pratiques et des produits fabriqués, et surtout de disposer d’une base de recrutement pour choisir 60 fermes à enquêter sur le terrain.

Remerciements : cette étude a été réalisée dans le cadre d'un programme CASDAR soutenu financièrement par le Ministère de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt et par des co-financements régionaux sollicités par les partenaires du programme. Nous remercions aussi vivement les éleveurs qui ont accepté de participer à cette enquête !

 

Objectifs

Le projet "Qualité des fromages fermiers lactiques : locaux et maîtrise de l'affinage" (LACTAFF) 2012-2015 vise à mieux connaître l'étape d'affinage pour en améliorer la maîtrise, en fournissant des recommandations techniques et des valeurs de référence (voir cahier fermier n°21 - décembre 2012). La première étape de ce projet a pour objectif d'acquérir une meilleure connaissance des locaux et équipements d'affinage, des itinéraires technologiques empruntés et des types de fromages mis en vente dans les fermes afin de choisir des fermes à enquêter sur le terrain. Ces fermes seront représentatives de la diversité des fromages lactiques produits pour un format donné et des modes de production. Ce travail a été réalisé à l'aide d'enquêtes téléphoniques, dont les résultats sont présentés ici.

 

Des installations très variées

Les enquêtes téléphoniques ont été conduites de décembre 2012 à mars 2013 auprès de producteurs affinant leurs fromages lactiques dans les 6 régions participant à l'étude (PACA, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes (ciblé sur Drôme-Ardèche), Bourgogne, Centre (ciblé sur le Cher), Poitou-Charentes). 144 enquêtes ont pu être valorisées. La figure 1 montre des installations soit équipées d'un séchoir et un hâloir (69 cas), soit sans séchoir et équipées d'un hâloir (47 cas). Elles sont plus courantes que les 29 autres fermes, équipées de 2 séchoirs et plus, 2 hâloirs et plus, voire d'armoires de séchage ou d'affinage. Ces 29 dernières fermes ont été écartées de la suite de l'étude pour des raisons pratiques (conduite des enquêtes sur le terrain). Quelques différences régionales peuvent être observées pour ces installations : les installations sans séchoir se rencontrent plus couramment dans la région Centre et Rhône-Alpes et Languedoc Roussillon ont plus d'installations à 1 séchoir et 1 hâloir (respectivement 73 et 59%).

 

Figure 1 : A gauche : 116 installations courantes et 29 atypiques ; à droite : détail des atypiques

 

Les 116 fermes aux installations les plus "courantes" transforment en moyenne 54 519 litres par an de lait avec 80 chèvres laitières (valeur médiane). Les troupeaux à grands effectifs restent rares.

 

Locaux et équipements

Une part importante des locaux d'affinage ont des parois en panneaux sandwich (59%).

 

Séchoirs :

La figure 2 donne un panorama des installations de séchage. Dans cet échantillon, 47 fermes sont sans séchoir (41%). Sur les 69 exploitations qui en ont un (59%), on trouve 11 % de pièces sans équipements de climatisation, en grande majorité en Rhône-Alpes (séchoirs "naturels")

 

Figure 2 : Types de séchoirs, détails pour les séchoirs avec groupe froid

 

Ces séchoirs naturels sont plutôt régulés par chauffages d'appoints et/ou ventilateurs d'appoints. Parfois, il n'y a même aucun équipement d'appoint (4 cas sur 13 séchoirs naturels). Les locaux dont le séchoir est équipé d'un équipement de climatisation, soit 48%, ont la plupart du temps un évaporateur au plafond ("plafonnier"). Les équipements de climatisation sont ventilés en simple ou double flux[1] (évaporateurs dynamiques) (figure 3). Les systèmes à air conduit sont rares et seul un séchoir tournant est enquêté. Ces systèmes demandent un investissement plus important, ce qui peut expliquer leur rareté en production fermière. Notons l'absence d'aération pour 42 % des séchoirs.

 

Figure 3 : Types d'équipements frigorifiques au séchoir

 

Hâloirs :

Dans les 116 exploitations étudiées, 81% des hâloirs sont équipés d'un équipement de climatisation, ventilé (67 %), en simple flux (47 %) (figures 4 et 5). Les hâloirs statiques (non ventilés) sont minoritaires (figure 5). Aucun système n'a de gaine de diffusion d'air. Au hâloir, 64 % des fromageries se passent d'aération. Seulement 18 % des hâloirs sont entièrement ou partiellement enterrés.

 

 

Figure 4 : Hâloir avec évaporateur en plafonnier en double flux et à détente directe

 

 

Figure 5 : Groupes froids au hâloir

 

L'itinéraire technique le plus courant est un ressuyage, suivi d'un séchage et d'un affinage au hâloir.

Rappelons qu'en transformation lactique fermière, nous avons considéré dans l'étude que l'affinage du fromage commence dès le démoulage et comprend donc les phases de ressuyage, séchage et affinage sensu-stricto.

 

Emprésurage et ensemencement :

Sur les 116 fermes, 75 pratiquent un seul emprésurage par jour, 37 producteurs en pratiquent deux et peu de producteurs font varier le nombre d'emprésurages journalier. A l'ensemencement, 53 % des fromagers utilisent exclusivement du lactosérum (figure 6). 42 % des laits reçoivent des ferments du commerce, au moins ponctuellement, certainement comme solution de résolution à un problème de flore ou en début de saison. La question posée n'était pas assez précise pour savoir s'il s'agissait de ferments acidifiants ou de flores de surface. Lorsque la réponse était assez précise, il s'avère que les préparations de ferments d'affinage du commerce les plus utilisées contiennent du Geotrichum (42 %). Pour les 11 fermes qui utilisent uniquement des ferments du commerce, 6 utilisent du Geotrichum, 1 une association de Geotrichum et Penicillium et les autres ne sont pas connus. Les producteurs avaient en effet une certaine réticence à aborder ces points au téléphone.

 

Figure 6 : Ensemencements du lait par le fromager

 

Itinéraires technologiques :

La combinaison de pratiques la plus fréquente consiste à ressuyer, sécher, puis affiner en hâloir (figure 7), sans pré-égouttage. Dans toutes les régions enquêtées, c'est à chaque fois cette combinaison qui est la plus pratiquée, sauf en région Centre, où l'on trouve un pré-égouttage, un ressuyage puis l'affinage en hâloir (11 fermes sur les 22 du Centre).

 

Figure 7 : Combinaisons de pratiques

 

Ressuyage : Une étape de ressuyage distinguée physiquement et temporellement se rencontre dans 93 fermes, et les effectifs sont équilibrés entre les régions. Dans les autres fermes la phase levurienne a lieu lors du début du séchage ou lors du début du passage au hâloir.

 

Séchage : Les résultats montrent qu'une étape de séchage identifiée en tant que telle est pratiqué dans 88 fermes. Toutes les exploitations de Rhône-Alpes le pratiquent, contre seulement 4 dans le Centre. Alors que 69 d'entre elles utilisent un séchoir (78%), d'autres sèchent en salle de fabrication avec des ventilateurs (14%).

 

Les paramètres de ressuyage, de séchage et d'affinage :

Les résultats de nos enquêtes sur les températures, hygrométries et durées d'étape sont donnés dans le tableau 1. Il faut souligner que les valeurs recueillies lors de l'enquête téléphonique sont données à dire d'éleveurs, ces derniers ne disposant pas toujours d'outils de mesure fiables et précis, notamment pour la mesure de l'hygrométrie.

 

Tableau 1 : Paramètres technologiques dans les différentes fermes (116 exploitations)

 

  Ressuyage Séchage Affinage en hâloir
  Modalités Effectifs Modalités Effectifs Modalités Effectifs
Absence d'étape Pas de ressuyage 23 Pas de séchage 46  
Durées <= 24 h 50 < 48 h 18 Très variables
] 24 h - 48 h [ 14 >= 48 h 44
>= 48 h 29 variable 7
Humidité Relative (HR)
 

Non connue dans la

majorité des cas

< 70 % 19 < 80% 13
[ 70% - 80% [ 28 [ 80% - 90% [ 40
>= 80% 9 >= 90% 26
variable 14 subie 17
Températures <= 20°C 56 < 14°C 19 < 10°C 9
> 20°C 31 [ 14 - 18°C [ 37 [ 10 - 12°C [ 29
variable 3 >= 18°C 7 [ 10 - 12°C [ 36
  variable 7 >= 14°C 30
  variable 6

 

 

Pour chaque paramètre, on constate que les effectifs n'arrivent pas au total de 116 car il y a souvent quelques données manquantes, et il faut prendre en compte l'absence de l'étape dans certaines fermes. Au-delà de cette description des grandes combinaisons de pratiques, aucun groupe de pratiques n'a pu se dégager, soulignant là-encore la grande diversité des itinéraires technologiques fermiers. Cette diversité se manifeste dans les trois étapes autant dans les durées que dans les niveaux d'hygrométrie et de température pratiqués.

 

Les fromages fabriqués se distinguent par leur couverture de surface

Nous avons utilisé la description des fromages obtenue lors de l'entretien téléphonique dans un traitement statistique, à l'aide du logiciel SPAD Coheris®. Suite à une Analyse des Correspondances Multiples et une Classification Ascendante Hiérarchique, une typologie à 3 classes a été sélectionnée.

 

Tableau 2 : Description des 3 types de fromages

 

  Classe 1 Classe 2 Classe 3
Effectifs 50 fermes 26 fermes 40 fermes
Flore de surface Geotrichum Penicillium

Certains fromages Geotrichum,
certains Penicillium et
certains portants
les deux types de flores

Couleur Crème Bleue Couleur crème ou bleue
Description au toucher Poudreuse Cartonneuse Surface cartonneuse sur
certains fromages,
poudreuse sur d'autres
Crémeux de la pâte Non caractéristique de la classe Pâte non crémeuse Non caractéristique de la classe

 

 

Illustrations

 

 

 

Les trois types de couvertures se retrouvent en région Rhône-Alpes. En PACA, Languedoc Roussillon et en en Poitou-Charentes, presque toutes les fermes produisent des fromages de type 1. Les fromages de type 2 sont plus représentés en Bourgogne. Pour la classe 3, plus représentée dans la région Centre, des fromages de couvertures différentes cohabitent dans le hâloir, et cette cohabitation semble "subie" par le producteur. De plus, ces couvertures changent au cours de l'année. La classe 3 est assez instable dans le temps, ce qui pourrait témoigner d'un manque de maîtrise de l'affinage, mais aussi d'une diversité de débouchés des fromages ou de la recherche systématique de fromages présentant à la fois du Geotrichum et du Pénicillium. Parmi les 11 producteurs utilisant des ferments du commerce uniquement, 9 produisent des fromages de la classe 1.

 

Conclusion

Cet état des lieux réalisé sur 144 fermes met en lumière la variabilité des conditions d'affinage des fromages lactiques à la ferme. Il a permis de choisir une soixantaine de fermes différentes sur le type de fromages fabriqués et présentant une diversité de locaux et d'équipements pour des enquêtes de terrain. La suite de l'étude (2013-2014) consiste à décrire sur le terrain la diversité des pratiques, des locaux et des équipements, et à la relier à la qualité des fromages fabriqués dans ces fermes. Ces enquêtes sont ciblées sur des exploitations possédant un seul hâloir et fabriquant des fromages ayant des rapports surface/volume comparables (type palet ou crottin). Les résultats de ces enquêtes de terrain seront connus début 2015.

 

[1] Simple flux : l'air est soufflé dans une seule direction à la sortie de l'évaporateur ; pour un évaporateur double flux, l'air est soufflé dans deux directions différentes.

 

Contact : Sabrina Raynaud