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Bilan de thèse Fertiligest : Identification et caractérisation de mutations affectant la fertilité

Publié le par Jeanlin Jourdain (Eliance)
Génomique Choix des reproducteurs Ressources génétiques Elevage des jeunes

La capacité des animaux à se reproduire est un point-clé de la gestion des troupeaux qui permet l’induction de la lactation et la naissance de veaux destinés à la vente ou au renouvellement. Du fait d’une sélection longtemps axée sur les caractères de production ces 80 dernières années, la fertilité des bovins a nettement diminué (diminution des chances de voir une insémination animale sur un vêlage de près de 20 points).

L’objectif de la thèse était d’exploiter les grandes bases de données françaises – constituées par l’enregistrement de 7 millions de naissances annuelles, des informations de suivi et de performances de ces animaux, complétées par 2 millions de génotypes sur puce à SNP (single nucleotid polymorphism, c’est-à-dire marqueurs génétiques répartis dans le génome (figure 1), dont environ 60 000 sont lus par puce à ADN) et par les séquences de génomes complets de 5000 taureaux (qui permettent de connaître l’ensemble des variations individuelles du génome, cf. figure1) – pour identifier des loci (régions du génome) influençant différentes facettes de la fertilité des mâles, des femelles et des durées de gestation.

Figure 1 : Exemple fictif d'une séquence d’un animal où les allèles représentés en bleu seraient des SNP lus par la puce et l’allèle rouge serait un variant connu par un séquençage

Parmi les résultats marquants de la thèse, le calcul de déséquilibre de liaison (estimation de la fréquence à laquelle deux SNP sont physiquement liés dans une population d’animaux) a permis d'identifier des translocations (accident de déplacement de segments chromosomiques dans le génome, cf. figure 2).

Figure 2 : Exemple d'une translocation réciproque entre les chromosomes 2 et 22 d'un animal : un échange accidentel de matériel génétique a eu lieu donnant lieu à des chromosomes dérivés et anormaux (BTA signifie Bos Taurus Autosome)

Douze cas différents de ces translocations ont été détectés chez des taureaux d’insémination dont la semence a été à l’origine de la naissance de plusieurs dizaines voire centaines de descendants. A cause de ces anomalies, la fertilité des taureaux eux-mêmes est particulièrement dégradée. Selon les cas, la moitié, voire plus, des descendants héritent de l’anomalie, ce qui cause à nouveau de graves problèmes de fertilité et, parfois, une forte hausse de la mortalité.
Les analyses des mécanismes génétiques et des conséquences pour les animaux ont fait l’objet de deux présentations en congrès internationaux (au congrès mondial de génétique animale à Rotterdam en 2022 et au congrès européen de productions animales à Lyon en 2023) ainsi que d’une publication dans une revue scientifique de renom : Genome Research. De plus, la revue, qui publie une vingtaine d’articles par mois, a choisi notre proposition d’illustration pour faire la couverture de la revue au mois de juin 2023 (Figure 3).

Figure 3 : Couverture de Genome Research de juin 2023 (utilisée avec la courtoisie des éditeurs)

Suite à cette publication, un communiqué de presse a été publié sur le site d’INRAE. Ce communiqué a été repris à plusieurs reprises dans la presse agricole :

Ces résultats sont par ailleurs aussi présentés dans un résumé scientifique en français (cf. dernière page) pour le groupe thématique reproduction du CNRS et dans la newsletter d’APIS-GENE (avant-dernier article), co-financeur du projet de thèse.

Grâce à ces travaux, le contrôle du caryotype des taureaux est de plus en plus systématique et plusieurs taureaux porteurs d’anomalies ont été écartés avant la collecte de leur semence, évitant de lourdes pertes pour les filières d’élevage.

D’autres travaux ont ensuite porté sur la caractérisation d’une des conséquences de la consanguinité – qui a tendance à augmenter dans les populations bovines sélectionnées – sur les problèmes de fertilité des mâles et des femelles. La conséquence la plus délétère de la consanguinité qui puisse être est, pour individu donné, le fait d’hériter de ses deux parents un segment chromosomique identique et contenant une mutation très délétère et récessive, ce qui signifie qu’elle n’a d’effet que si elle est portée en double exemplaire. Un exemple est présenté sur la figure 4. Dans cet exemple, supposons que l’étoile rouge représente une mutation de ce type. Seul l’animal homozygote issu de l’accouplement entre apparentés présentera le phénotype déviant.

Figure 4 : D'un accouplement entre apparentés à la consanguinité

A partir des données de génotypage, il est possible d’identifier des groupes d’animaux qui ont en commun un phénotype indésirable et une région portée à l’état homozygote. Quand des animaux porteurs du même segment sont séquencés, il est possible d’essayer d’identifier des mutations potentiellement à l’origine du problème. Les travaux avec ces méthodes ont été portés sur les niveaux de fertilité déviants (taureaux particulièrement subfertiles, génisses inséminées plusieurs fois sans vêlage ensuite, vaches avec problèmes de fertilité répétés). Au total, une vingtaine de régions à l’origine de problèmes de fertilité ont été détectées. Pour l’heure, aucune publication n’a été rédigée sur ce sujet, mais les entreprises de sélection doivent peu à peu intégrer ces nouvelles informations pour éviter les accouplements à risque.

Les mêmes jeux de données ont été utilisés pour estimer globalement les conséquences de la consanguinité et proposer une méthode de recherche d’incompatibilité. Ils n’ont pas été présentés lors de la soutenance et devront être approfondis dans de futurs projets de recherche.

Enfin, des travaux sur la durée de gestation dans 16 races françaises ont complété les connaissances sur l’héritabilité et la variabilité de ce caractère et de décrire les risques associés à une sélection pour des gestations plus courtes. En effet, il a été identifié qu’une sélection pour diminuer la durée de gestation pourrait entraîner une hausse de la mortalité des jeunes veaux. Les résultats de ces travaux ont fait l’objet d’une publication dans le Journal of Dairy Science. A cette publication sont liées des données complémentaires qui peuvent être consultées en ligne. Un article de présentation des résultats a été publié sur le site d’Idele, suivi d’un article dans une revue agricole en ligne.

 

L'ensemble de ces travaux ont pu être menés sur la base des jeux de données zootechniques et génomiques, dont l’échange entre les différents acteurs de la filière est très bénéfique à la recherche. Déjà utilisés par les entreprises de sélection génétique des filières bovines, les résultats de cette thèse ont rempli leur vocation et doivent permettre d’améliorer significativement la fertilité des bovins français et, au passage, participer à améliorer la durabilité des élevages bovins en profitant aux revenus des exploitations et en diminuant l’impact carbone des produits alimentaires d’origine animale.

 

Pour en savoir plus

La thèse Fertiligest est un projet de thèse CIFRE Eliance, cofinancée par l'ANRT et APIS-GENE. Cette thèse, menée par Jeanlin Jourdain, dirigé par Aurélien Capitan (INRAE) et co-encadré par Didier Boichard (INRAE) et Sébastrien Fritz (Eliance), a été soutenue publiquement le 4 juillet 2024.

Contact : jeanlinjourdain(at)outlook.fr