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Les exploitants du Réseau Equin face à la crise covid-19

Publié le par Sophie Boyer-Lafaurie (Institut de l'Elevage)
Conseil en élevage Revenu des éleveurs Equin
La récente étude de l’Institut Français du Cheval et de l’Equitation à la demande de la Filière Cheval, ainsi que celle réalisée par la Fédération des Conseils des chevaux montrent que l’impact économique de cette crise est considérable sur les entreprises équines. La perte de chiffre d’affaires peut atteindre jusqu’à 80% en avril par rapport à 2019. Les situations sont très variées et les conséquences pourraient être irréversibles dans le cas d’entreprises déjà fragiles économiquement avant la crise. En complément à ce travail, une enquête qualitative a été réalisée, juste après le déconfinement, auprès des exploitants du Réseau Equin National*, structures de références, sélectionnées car plutôt compétitives, afin de faire un état des lieux de leur situation et d’échanger autour des solutions mises en œuvre. 49 dirigeants témoignent sur l’impact de la crise sur le fonctionnement de leur entreprise et nous partagent les mesures mises en place pour rebondir. Réactivité, adaptabilité et créativité caractérisent ces entreprises.

 

Un impact financier indéniable de la crise sur les entreprises équines interrogées

92% des entreprises du Réseau Equin ont été impactées par la crise dans leur fonctionnement

 

Les plus touchés sont les centres équestres et les établissements de tourisme équestre qui ont été contraints d’arrêter la plupart de leurs activités pour fermeture administrative de leur établissement au public (cours, stages, balades, randonnée, accueil de groupes, formations BPJEPS/DEJEPS….). En effet, c’est dans ces systèmes où l’on trouve le plus de personnes ayant mal vécu cette période (respectivement 32 % et 46 %).

 

Les gérants d’écuries de pensions ont pour la plupart maintenu le nombre de chevaux pris en pension, en revanche ils ont arrêté de donner des cours, coacher leurs cavaliers en compétitions et ils ont cessé leur activité de commerce de chevaux. 70% des dirigeants expriment des préoccupations, elles sont nombreuses sur leur capacité à tenir le coup financièrement, sur la fragilisation et la pérennité de leur système, sur les conditions de réouverture des entreprises, sur la mise en œuvre des mesures de sécurité et plus globalement sur l’avenir en général.

 

Les établissements de tourisme équestre sont encore plus  inquiets car leur activité est liée avant tout à la reprise du tourisme cet été, dont la clientèle étrangère.

 

 

Mais aussi une pause pour certains dans un contexte de surcharge de travail

Paradoxalement, cette période de confinement a pu avoir pour certains des conséquences inattendues

Être plus cool - Prise de conscience positive - On apprécie de passer du temps avec nos chevaux - On ne court pas - J'ai pu me mettre à jour dans tous les travaux. j'ai pris du temps pour ma famille et mes enfants - Humainement je vais mieux.

 

Ils sont un quart à exprimer que la fermeture leur a permis de faire une pause. Ils se disent moins stressés, ils ont pu se dégager du temps libre pour s’occuper des chevaux, pour réaliser des travaux sur leurs structures et aussi pour réfléchir au fonctionnement de leur système et son évolution. 

Les exploitants qui expriment ce « mieux-être » lié à la fermeture de leur établissement ont tous la possibilité de mettre leur cavalerie au pré, ce qui limite la charge de travail liée à la gestion de la cavalerie.

Cette prise de conscience de la charge mentale liée à leur surcharge de travail, hors période de crise, mais aussi à la gestion de la clientèle conforte les récents résultats des 18 Bilans Travail réalisés en centres équestres.

 

Des exploitants réactifs qui s'adaptent pour sécuriser leurs systèmes

Recours aux aides

80% des exploitants ont demandé des aides dont quasiment tous les centres équestres et centres de tourisme équestre

Les demandes d’aides sont essentiellement : aide du fond de solidarité, chômage partiel, report de prêt, prêt garantie état, aide garde d'enfants, aides régionales et report des charges sociales. Si les reports de prêt ou les aides régionales n’ont pas été toujours acceptés, les demandes d’aide du fond de solidarité et le recours au chômage partiel l’ont généralement été.

 

Maintien du lien à la clientèle

Les exploitants ont accordé du temps à la gestion de la clientèle

Ils sont nombreux à avoir utilisé les réseaux sociaux (facebook, instagram) pour donner des nouvelles régulières aux clients, les rassurer sur le bien-être des chevaux et des poneys. Ils partagent des photos et des vidéos des chevaux, certains ont mis en ligne des jeux, des quizz et aussi des lives vidéos de certaines de leurs activités. Souvent pour la gestion des propriétaires, des groupes de communication (par exemple : Whats app, messenger…) ont été créés pour transmettre de l’information mais aussi partager des vidéos des chevaux.

 

 

Simplification de la conduite des animaux et allégement des charges pour certains

Concernant la gestion des chevaux, les situations sont très variées selon la disponibilité en surface et le type d’équidés (chevaux de loisir, d’élevage ou de compétition)

Si certains ont opté pour la mise à l’herbe des chevaux quand cela était possible (utilisation de surfaces de particuliers, de prés communaux), d’autres ont continué à gérer leurs chevaux en alternant box et sortie paddock. Des exploitants ont continué aussi le travail de leurs chevaux pour assurer leur condition physique en vue de préparer la reprise. Les soins aux chevaux de propriétaires (pansage, curage des pieds..) ont ajouté du travail en plus surtout dans les cas où la main-d'œuvre était réduite.

Côté charges, ils ont parfois diminué les charges salariales, mais aussi celles liées à la maréchalerie, à l’alimentation des chevaux, à la sortie en compétition et aux frais de déplacements.

 


Centres équestres (22)
Activités : arrêt total des cours, des stages, des accueils de groupes, des formations BPJEPS/DEJEPS, des activités de vacances de Pâques, du tourisme, maintien des pensions (seuls 2 ont perdu des pensions).

Crédit photo : Alexa Fotos (Pixabay)

Main d’œuvre : une réorganisation dans 60 % des cas, diminution de la main d’œuvre (recours au chômage partiel, garde d’enfants, pas de stagiaires sur place), accroissement de la charge de travail pour la gestion des chevaux et notamment ceux des propriétaires logés en box.

Conduite des chevaux : des situations très variables en fonction de la disponibilité de surface, la moitié des exploitants a géré des chevaux au pré, notamment les chevaux de club et des chevaux en box avec des sorties régulières (longe, paddock, séances de travail). Seuls 7 ont pu mettre tout leur cheptel au pré.

Gestion clientèle : beaucoup de communication pendant cette période sur les réseaux sociaux, des posts, des photos, des vidéos mis en ligne régulièrement sur la page facebook, des lives facebook, des jeux, des quizz partagés et souvent des groupes Whats app, messengers pour les propriétaires, des envois personnalisés, des mails, appels téléphoniques et des sms.

 


Centres de tourismes équestres (13)
Activités : arrêt total des balades, des randonnées, du tourisme, de l’hébergement, des stages, des cours, du commerce des chevaux.

Crédit photo : Pixabay

Main d’œuvre : pas de changement pour 8 exploitations, pour les autres, c’est un recours au chômage partiel pour des salariés et une mise en attente des recrutements de saisonniers pour la saison touristique. 

Conduite des chevaux : plus de chevaux au pré dans ce système (8 cas sur 13), en revanche du travail en plus pour quelques uns qui ont maintenu une activité physique régulière pour éviter le surpoids des chevaux.

Gestion clientèle : communication régulière via les réseaux sociaux, des photos des chevaux, des travaux réalisés sur la structure, des jeux mis en ligne, appels téléphoniques et envois de mail, gestion complexe des réservations et annulations en raison du manque de lisibilité pour cet été.

 


Ecuries de pension (13)
Activités : globalement maintien des pensions, arrêt total des concours/compétitions, des cours, du coaching en compétition, pas de débourrage pendant cette période car manque de main d’œuvre, baisse des ventes de chevaux et des saillies.

Crédit photo : Rob Glenister (Pixabay)

Main d’œuvre : main d'œuvre identique dans 7 cas sur 13, les autres ont eu généralement moins de personnes sur place car les stagiaires et apprentis n'étaient pas présents sur la structure et à l'inverse un exploitant a eu recours à l’embauche d’un CDD.

Conduite des chevaux : plus de travail lié à l’entretien des chevaux de propriétaires (pansage, curage des pieds, travail), la conduite des chevaux est variée selon la disponibilité en pâturage.

Gestion clientèle : communication régulière via les réseaux sociaux, des photos, vidéos envoyées aux propriétaires.

 

 

 

Des exploitants qui se préparent activement à la reprise des activités

Les exploitants se tiennent informés de l’évolution de la situation même s’ils expriment une réelle difficulté à s’y retrouver face à la multitude des sources et des supports d’informations (organismes multiples, réseaux sociaux) durant cette période.

C'est trop ! Nous sommes inondés d'information- Il est difficile de s'y retrouver.

Il n’a pas toujours été évident pour eux d’apprécier la fiabilité de l’information. En revanche,  quelques-uns à soulignent l’intérêt d’échanger entre professionnels et conseillers pour partager leurs idées sur les leviers d’adaptation de leurs entreprises à la situation.

Si certains ont commencé à s’équiper (masque, gels, achats matériels), ils réfléchissent tous à la réorganisation de leur activité, à la planification des séances et à la mise en place des mesures de sécurité. Un exploitant a, par exemple, partagé une vidéo où il explique à ses clients la mise en œuvre des gestes barrières sur sa structure (lavage des mains, sens de circulation, distanciation physique…).

Parfois, ils ont enquêté leurs clients pour connaître leurs souhaits quant à la reprise des activités mais aussi pour envisager avec eux des solutions pour le rattrapage des cours et éventuellement de nouveaux produits pour l’été. Ils envisagent pour la plupart un retour progressif des clients et des propriétaires.

 

 

CE A QUOI ILS ONT PENSE POUR LA REPRISE :

 
  • Affichage des mesures barrières, fiches pratiques, matérialisation du sens de circulation des clients, fermeture du club-house, préparation des chevaux par le gérant

  • Questionnaire auprès des clients, entretien individualisé pour envisager avec eux la reprise des activités et évoquer leurs besoins, création de groupes de communication pour les propriétaires

  • Sondages sur les disponibilité des clients pour la période mais aussi l'été

  • Etablissement d'un planning hebdomadaire pour gérer le nombre de propriétaires et de clients par créneau horaire

  • Rattrapage des heures sous forme de stage de niveau sur des créneaux libres y compris le week-end

  • Augmentation des plages horaires de cours

  • Des séances plus longues, 2h au lieu d’1h (1h15 à cheval et 45' à pied de cours sur la connaissance du cheval) et du temps entre les séances pour nettoyer le matériel, ½ journée par cavalier pour éviter de changer de matériel trop souvent

  • De nouveaux produits : ½ pension, produit famille, équitation à pied, cours autour du cheval (soins, travail à pied, hippologie), warm up non officiel sur la structure

  • Coffrets cadeau valable 1 an : apéro rando / brunch / découverte du vin du var / pastoralisme fromage + vin

  • Communication +++ pour rassurer les clients sur l'activité du club mais aussi préparer la reprise

 

 

 

 

Mais qui souhaitent aussi, pour certains, réfléchir à l’évolution de leur système à plus long terme

 

…Nous souhaitons diversifier notre système pour qu’il soit plus résilient - Nous n’avons pas envie de retomber dans ce système où nous étions sous pression, il faut qu’on trouve un bon équilibre entre travail et revenu - Je me rends compte que cette situation me conforte dans mon idée de recentrer mes activités pour avoir moins de clients et de chevaux à gérer - Nous réfléchissons à alléger nos charges.

 

S’ils sont préoccupés actuellement par la remise en route de leurs activités, ils souhaitent aussi dans certains cas prendre du recul sur le fonctionnement actuel de leur structure et réfléchir à son évolution. Et notamment prendre en compte les dimensions suivantes :

 

  • L’évolution de la filière équine,
  • Les demandes de la clientèle
  • La diversification des activités
  • La façon de gérer la clientèle
  • La gestion des chevaux
  • L’organisation du travail
  • Et La réduction des charges

 

En plus de cette prise de conscience individuelle, quelques-uns expriment aussi une volonté de travailler plus collectivement (partage d'expérience, d'idées, achats regroupés).

 

 

 

Des entretiens semi-directifs menés auprès de 49 exploitants du Réseau Equin National

 

Les enquêtes ont été réalisées par téléphone, entre le 28 avril et le 11 mai 2020 auprès d’exploitants du Réseau Equin National. Il s’agit de structures de références avec de bons résultats technico-économiques qui constituent des supports de réflexion pour la production de références.

49 exploitants* ont été interrogés appartenant à trois systèmes : centre équestre, centre de tourisme équestre et pensions. Face à la situation sanitaire actuelle et après plusieurs semaines de fermeture des établissements, l’équipe des conseillers du Réseau souhaitait connaître la situation des exploitants et partager avec eux leurs interrogations et solutions envisagées pour gérer cette période.

 

*Parmi les 49 exploitants, 1 éleveur de chevaux de trait a été enquêté, ses résultats ont été valorisés mais n’ont pu faire l’objet d’une valorisation sur ce système.


 

EN BREF !

Les enseignements de cette crise…

  • La prise de conscience de la charge mentale liée à la surcharge de travail chronique (en routine hors situation de pandémie Covid-19) et à la gestion de la clientèle des entreprises plus spécifiquement en centre équestre
  • L’importance du travail de communication auprès de ses clients
  • L’atout de l’herbe pour le bien-être des chevaux, la réduction des coûts alimentaires mais aussi pour la diminution du temps de travail
  • La résilience des systèmes avec une diversification raisonnée des activités
  • L’importance d’une marge de sécurité (trésorerie, stocks alimentaires) pour faire face aux imprévus
  • L’intérêt d’échanger entre pairs autour des problématiques rencontrées pour trouver des solutions collectives
  • La nécessité d’une adaptation permanente des entreprises au contexte socio-économique et par conséquent, la nécessité, pour les exploitants, d'être en capacité d'interroger en permanence leur modèle économique pour pouvoir le faire évoluer
  • L'importance d'une information concertée au sein de la filière pour qu'elle soit efficace
 

 

 

 

* Le Réseau Equin National est un dispositif de suivi de 128 exploitations « pilotes », sélectionnées pour leur efficience économique, et de conseillers spécialisés équins en vue de produire des références technico-économiques pour le conseil et la prospective.

 

 

 

Des pistes de réflexion pour l’avenir…

 

Optimiser son organisation de travail

Se former sur les outils de communication
pour faciliter la gestion de la clientèle

La méthode Bilan Travail permet de faire un diagnostic de son organisation, des premiers travaux ont été réalisés en centres équestres sur le sujet.

Un projet « Equitravail » est actuellement en cours pour identifier les problématiques équines autour du travail et élaborer des fiches solution

Quelques outils de communication ont été cités dans cette synthèse et dans une récente étude menée sur la stratégie des établissements équestres.

 

Maîtriser ses charges, disposer de repères
pour analyser le fonctionnement technico-économique de son entreprise

Optimiser la gestion des chevaux :
utilisation de l’herbe, modes de logement alternatifs,
conduite des chevaux en troupeau

Utiliser des repères technico-économiques pour se situer et identifier des marges de progrès. Les synthèses nationales, les tableaux de bord coût de production peuvent-être utilisés à cet effet.

Des initiatives régionales ont été mises en place pendant cette période de confinement pour faciliter l’accès à des surfaces en herbe à des exploitants « Le bon coin des prairies ». Des formations sont régulièrement proposées par les chambres d’agriculture pour mieux valoriser l’herbe.

En ce qui concerne le mode de logement des chevaux, les pratiques évoluent et cela mérite d’être étudié de façon plus approfondie.

 

Savoir où trouver l’information

Echanger entre pairs sur le fonctionnement
des entreprises
pour trouver des solutions collectives

La multiplicité des sources d’informations accentuée par les réseaux sociaux complexifie l’accès à une information fiable.

Pour répondre à cette problématique une récente plateforme collaborative destinée aux éleveurs herbivores a été créée OK éleveur. Son objectif est d’accéder à des outils d’aide à la décision, des références fiables et de permettre d’échanger avec des experts.

Quelques initiatives régionales ont fait émerger des groupes de professionnels qui souhaitaient échanger et partager leurs questionnements avant et suite à la crise : « Groupe pros équins Hauts de France » - « GIEE Hipparc Bourgogne-Franche-Comté » - "Le cheval dans tous ses états"

 

 

Cette synthèse a été réalisée par l’équipe de conseillers et grâce à la collaboration des exploitants du Réseau Equin National.