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Cancer des sinus chez les petits ruminants : une maladie négligée ?

Intervention réalisée par Caroline Leroux (INRAE) lors du Webinaire coanimé par l'UMT PSR et l'OMACAP le 10 Octobre 2022

Publié le par Renée de Crémoux (Institut de l'Elevage), Nicolas Ehrhardt (OMACAP)
L'ENTV (Enzootic Nasal Tumor Virus) est un rétrovirus à l'origine de tumeurs nasales chez la chèvre et le mouton. Symptômes, évolution, détection, contrôle de cette infection virale mortelle à l'impact économique majeur : Caroline Leroux (INRAE, Université Lyon) fait le point sur cette maladie négligée lors du Webinaire coanimé par l'UMT PSR et l'OMACAP du 10 Octobre 2022

Les rétrovirus sont une famille de virus enveloppés dont le génome est constitué d’ARN. Ils sont responsables chez l’homme et l’animal de maladies inflammatoires et/ou dégénératives, de syndromes d’immunodéficience (avec notamment le virus HIV responsable du SIDA) et de cancers. Trois rétrovirus infectent les moutons et chèvres :

  • les lentivirus des petits ruminants (CAEV et virus visna maedi) d’une part,
  • et les b-rétrovirus oncogènes JSRV (Jaagsiekte Sheep RetroVirus) et ENTV (Enzootic Nasal Tumor Virus) d’autre part.

Génétiquement proches, JSRV et ENTV sont responsables respectivement d’adénocarcinomes pulmonaires et de tumeurs nasales.

ENTV : symptomatologie et voies de transmission

Les tumeurs nasales viro-induites chez la chèvre et le mouton se caractérisent par des déformations de la face, par des sécrétions abondantes produites par les cellules épithéliales nasales tumorales, des difficultés respiratoires et un amaigrissement. L’évolution clinique est rapide après l’apparition des premiers signes cliniques, aboutissant à la mort de l’animal en quelques semaines.

Le virus se transmet par voie respiratoire et contact entre animaux, notamment via les sécrétions nasales, chargées en particules infectieuses. La présence de virus dans le lait suggère également une transmission par ingestion, comme cela a été montré pour le virus apparenté JSRV. La maladie peut se manifester sous forme de cas isolés, mais aussi sous forme de foyers avec une augmentation rapide du nombre de cas de cancers, pouvant aboutir à l’élimination du troupeau.

Un virus aux propriétés spécifiques rendant son contrôle difficile

ENTV partage avec les rétrovirus des propriétés spécifiques qui rendent son contrôle difficile :

  • Ils sont intégratifs, c’est-à-dire que lors des étapes précoces de l’infection le génome viral s’intègre définitivement dans le génome de l’hôte, où il peut subsister sans production de protéines ou de particules virales. Le génome viral est alors transmis aux cellules filles lors de la division cellulaire.
  • Les rétrovirus sont des virus persistants, c’est-à-dire qu’ils restent présents dans les cellules de l’animal infecté toute sa vie.
  • Enfin, comme tous virus à ARN, les rétrovirus sont variables, avec le risque d’émergence de nouveaux variants plus pathogènes et/ou plus transmissibles.

Une surveillance délicate et une circulation effective du virus

La surveillance de l’infection par ENTV dans les troupeaux caprins se heurte à l’absence de réponse sérologique. En effet, outre les virus dits exogènes transmis notamment par voie respiratoire, il existe chez les chèvres et les moutons des rétrovirus endogènes ou b-ERV, résultant de l’intégration ancestrale de rétrovirus de type ENTV exogène dans les cellules germinales. Transmis à la descendance comme tout gène cellulaire, ils sont présents à de multiples copies dans toutes les cellules des petits ruminants. La présence de b-ERV très proches génétiquement d’ENTV (et JSRV) ne permet pas la production d’anticorps spécifique.

La détection directe de l’infection repose donc sur l’amplification du génome viral par PCR, en prenant garde d’utiliser des outils ciblant spécifiquement les ENTV exogène infectieux. Notre équipe a mis au point des outils de détection ante mortem de l’infection par PCR (pour la forme ADN viral intégrée au génome cellulaire) ou RT PCR (pour les ARN viraux) réalisable à partir d’écouvillons nasopharyngés.

Par cette approche, nous avons mis en évidence un taux élevé d’infection par ENTV dans des troupeaux présentant une forte incidence de cancer, avec de 20 à 50% d’animaux testés positifs dans toutes les classes d’âge. Parallèlement, sur une série d‘écouvillons nasopharyngés prélevés en abattoir (en collaboration avec le Dr Nicolas Ehrhardt, OMACAP, FRGDS Nouvelle Aquitaine), nous avons mis en évidence la présence d’ENTV chez 5% des animaux, confirmant la circulation du virus en France.

La détection des animaux atteints au coeur des actions de maîtrise de la propagation de la maladie

La tumeur nasale induite par ENTV est encore à ce jour une maladie négligée. En passant de cas isolés à une situation de propagation rapide et incontrôlée du virus dans un troupeau, elle peut avoir un impact économique majeur, allant dans certains cas jusqu’à l’élimination du troupeau. Comme pour les autres rétrovirus, la vaccination reste un défi face à des virus persistants et variables. Outre l’absence de vaccin, il n’existe pas de traitements antiviraux pouvant prévenir l’apparition des cancers. Ainsi, l’absence de prophylaxie augmente le risque de laisser circuler des souches pathogènes. Le développement d’outils de détection directe de l’infection est indispensable pour évaluer la situation d’un troupeau face à l’augmentation des cas de cancers, et à termes pour limiter les risques de réintroduction du pathogène lors de renouvellement ou de constitution de troupeaux. L’isolement ou l’élimination des animaux symptomatiques est une mesure indispensable pour éviter la propagation de l’infection au sein d’un troupeau, notamment via les sécrétions chargées en virus.

Visionnez et réécoutez l'intervention de C. Leroux :

Pour plus d'information :

Contact : Dr Caroline Leroux caroline.leroux(at)inrae.fr