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Sélection des ovins pour une meilleure résistance aux parasites gastro-intestinaux

Publié le par Carole Moreno-Romieux (INRAE - GenPhySE), Philippe Jacquiet (ENV Toulouse)
Les strongles gastro-intestinaux (SGI) sont des parasites du tube digestif présents chez les animaux ayant accès au pâturage. Ils affectent la santé et le bien-être des animaux. Les pertes de production pour la filière ovine ont été estimées à 15% pour la croissance et 22% pour la production de lait. L’utilisation de traitements anthelminthiques a été pendant de nombreuses années l’unique moyen de contrôle des SGI. Aujourd’hui, la filière ovine fait face à des cas de plus en plus nombreux de résistances voire de multi-résistances à ces traitements. Un effort de recherche important est fourni afin de trouver des méthodes qui, associées à un usage raisonné des traitements anthelminthiques, permettraient un contrôle durable des SGI. La thèse réalisée par Sophie Aguerre avait pour objectifs d’étudier la mise en œuvre d’une sélection génétique pour une meilleure résistance aux SGI et d’évaluer les impacts qu’elle pourrait avoir sur les autres caractères en sélection et sur les fonctions biologiques de l’animal (croissance, production et reproduction).

 

Comment mesurer la résistance aux strongles gastro-intestinaux ?

 

Au pâturage, les animaux ingèrent des larves de parasite en broutant. Ces larves vont se développer dans le tube digestif de l’animal et s’y reproduire. Les œufs produits par les vers adultes sont excrétés dans les matières fécales des animaux et contaminent la pâture (Figure 1).

 

Figure 1 : Cycle biologique des strongles gastro-intestinaux

L’intensité d’excrétion d’œufs de strongles dans les fèces, mesurée en œufs par gramme (OPG), est un indicateur fiable de la résistance d’un animal. Moins l’animal excrète d’œufs, plus il est résistant aux strongles. L’excrétion d’œufs d’un individu peut varier de 0 à plusieurs milliers œufs par gramme de matière fécale.

En pratique, ce caractère est difficile à mesurer au pâturage et variable selon les conditions environnementales (météorologiques notamment). Un protocole d’infestation expérimentale a donc été mis au point à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse afin de mesurer les capacités de résistance des animaux au strongle Haemonchus contortus. Ce protocole comprend deux périodes d’infestation d’un mois chacune séparées par une période de repos de 15 jours. Une mesure d’intensité d’excrétion d’œufs est réalisée à la fin de chaque période d’infestation. Ces mesures sont notées OPG1 et OPG2.  

Le phénotypage en conditions expérimentales des jeunes béliers en station de contrôle apparaît comme la stratégie la plus adaptée dans le contexte de la sélection en France. Cela permet de :

  • limiter le nombre de mesures d’OPG à réaliser
  • maîtriser les conditions environnementales (dose d’infestation, alimentation, logement).
  • diffuser efficacement le progrès génétique à l’ensemble des élevages grâce à l’organisation collective des schémas de sélection.

Exemple chez la race ovine laitière Manech Tête Rousse

Un caractère héritable

Une première étude a eu pour objectif de valider l’efficacité de la sélection des jeunes mâles en conditions expérimentales pour améliorer la résistance aux SGI de leurs descendantes élevées au pâturage tout au long de leur carrière.

Les mesures d’OPG réalisées sur 600 mâles en station de contrôle et 400 brebis issues d’une centaine de ces mâles et élevées au pâturage ont permis de mettre en évidence :

  • une variabilité importante de l’intensité d’excrétion d’œufs avec des OPG variant de 0 à 15000.
  • une origine en partie génétique de cette variabilité avec une héritabilité modérée de 14% pour OPG1 et 35% pour OPG2 chez les mâles et 18% chez les femelles.

Il est donc possible de sélectionner les animaux pour leur résistance aux SGI en utilisant les OPG comme caractère à sélectionner.

Sélection des béliers : quels impacts sur leurs filles ?

Les corrélations génétiques relativement élevées (0,56 – 0,71) entre les OPG mesurés chez les mâles en conditions expérimentales et les OPG mesurés chez les femelles en conditions naturelles indiquent que la stratégie choisie permet effectivement d’augmenter la résistance aux SGI des animaux en ferme. Ce résultat a pu être illustré de façon pratique au sein des 7 élevages de l’étude. Les brebis issues des béliers les plus résistants ont excrété en moyenne deux fois moins d’œufs de SGI que les brebis issues des béliers les plus sensibles. La part des brebis qui ont une forte intensité d’excrétion d’œufs et contaminent fortement les pâtures est aussi réduite (Figure 2).

La sélection de jeunes mâles en station contrôle est une stratégie efficace pour augmenter la résistance de leurs descendantes au pâturage.

     

Figure 2 : Illustration du lien entre résistance des jeunes mâles en station de contrôle et résistance de leurs descendantes en ferme  

Quel impact sur les caractères laitiers ?

Jusqu’à présent, la sélection en race Manech Tête Rousse a porté sur la quantité et la qualité du lait et sur la résistance aux mammites. Avant d’inclure la résistance aux SGI dans l’objectif de sélection, il est nécessaire d’étudier les liens entre la résistance aux SGI et les caractères laitiers.

Les corrélations génétiques entre les OPG et les caractères de production laitière ont été estimées à partir des données d’OPG des 600 jeunes béliers en station de contrôle et des données de contrôle laitier de 140 000 brebis.

Les corrélations entre les OPG mesurés chez les mâles en fin de deuxième infestation et les caractères laitiers indiquent que :

  • les individus ayant un potentiel génétique de production plus élevé sont aussi les individus les plus sensibles aux SGI.
  • les individus génétiquement plus résistants aux mammites sont les plus sensibles aux SGI.

Les valeurs des corrélations sont cependant assez faibles (Tableau 1).

Une sélection concomitante pour une réduction des OPG et les caractères laitiers est réalisable malgré des liens plutôt défavorables.

 

Tableau 1 - Corrélations génétiques entre les mesures d’OPG réalisées chez les jeunes mâles en station de contrôle et les caractères laitiers

 

OPG1

OPG2

Quantité de lait

NS

0,28 ± 0,10

Quantité de matière grasse

NS

0,29 ± 0,11

Quantité de matière protéique

NS

0,24 ± 0,10

Taux butyreux

NS

NS

Taux protéique

NS

-0,20 ± 0,10

Score de cellules somatiques

NS

-0,17 ± 0,11

OPG1 : intensité de l’excrétion d’œufs en fin de première infestation chez les mâles

OPG2 : intensité de l’excrétion d’œufs en fin de deuxième infestation chez les mâles

NS : corrélation non significative

Déterminisme génétique de la résistance aux strongles gastro-intestinaux

Une recherche des régions du génome impliquées dans la résistance aux SGI a été réalisée à partir des données de 850 béliers phénotypés et génotypés avec la puce ovine 50K (OvineSNP50 BeadChip).

Trois régions chromosomiques ont été identifiées pour la résistance aux SGI, chacune expliquant une très faible part de la variation génétique. Cette étude a permis de conclure à un déterminisme polygénique de la résistance aux SGI chez la race Manech Tête Rousse. Plusieurs mécanismes entrent donc en jeu dans la réponse des animaux à une infestation par les SGI. Le risque d’adaptation des SGI à des hôtes ayant un meilleur potentiel génétique de résistance est donc limité.

Les impacts à long terme de la sélection pour la résistance

Des lignées divergentes ont été sélectionnées en race Romane pour une forte résistance ou sensibilité à H.contortus à l’unité expérimentale INRAE La Sapinière. Elles permettent d’évaluer les effets à long terme de la sélection à différents stades de la carrière des brebis.

Les mesures d’OPG et de caractères de croissance réalisées chez de jeunes femelles en croissance infestées expérimentalement sur une période de 35 jours montrent l’efficacité de la sélection avec :

  • des OPG 10 fois moins élevés chez les agnelles de la lignée résistante que chez celles de la lignée sensible un mois après infestation (Figure 3).
  • une part de femelles fortes excrétrices fortement réduite (Figure 3).

Figure 3 – Distribution des OPG mesurés 35 jours après infestation expérimentale chez 91 agnelles (lignée résistante en bleue, lignée sensible en rouge)

 

Des différences sur les caractères de croissance ont aussi été observées avec :

  • consommation d’aliments journalière plus élevée chez les agnelles de la lignée sensible.
  • un dépôt de gras plus important chez les agnelles de la lignée sensible.

Ces travaux sont poursuivis dans le cadre du projet Sustradeoff, notamment chez des femelles en gestation et au moment de l’agnelage. (Carole Moreno-Romieux, Frédéric Douhard – INRAE).

Vers une gestion durable des strongles gastro-intestinaux

Face aux cas de résistances aux traitements anthelminthiques, la filière ovine doit se tourner vers une gestion plus durable des SGI.

Les résultats obtenus au cours de cette thèse montrent une forte réduction de l’intensité d’excrétion d’œufs chez les animaux sélectionnés pour leur résistance. La diffusion de ces animaux en élevage permettra un assainissement des pâtures et ainsi une protection du troupeau. En pratique, une sélection classique pourra être mise en place pour améliorer la résistance de l’ensemble des troupeaux. On pourra aussi diffuser par IA les béliers les plus résistants afin d’apporter une réponse rapide aux élevages qui font face à une impasse thérapeutique.

Une gestion durable des SGI passera par l’utilisation de plusieurs stratégies de contrôle. Des projets de recherche sont conduits afin de déterminer comment associer au mieux ces stratégies et limiter l’utilisation des traitements anthelminthiques. On peut citer par exemple le projet PARALUT (financé par la région Nouvelle-Aquitaine) qui étudie l’association de la génétique et de l’alimentation comme méthodes de contrôle des strongles gastro-intestinaux.

Cette publication a été réalisée dans le cadre de l'UMT GPR et a bénéficié de l'appui financier du Ministère de l'Agriculture et de la souveraineté Alimentaire.