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Comprendre la génétique de la durée de gestation

Publié le par Jeanlin Jourdain (Eliance)
Les objectifs des travaux présentés sont de comprendre les mécanismes génétiques de la variabilité de durée de gestation d’une race à l’autre et au sein d’une race donnée, d’étudier ce qui pourrait être utilisé pour une éventuelle sélection sur ce caractère, et les conséquences que pourrait avoir la mise en place d’une sélection.

 

Variabilité de la durée de gestation

Le caractère varie beaucoup d’une race à l’autre. Les valeurs extrêmes sont observées pour la race Holstein (279 jours en moyenne) et la Blonde d’Aquitaine (294 jours). Au sein d’une même race, l’écart-type observé est d’environ 5 à 6 jours. Par exemple, en Holstein cela signifie que 95 % des veaux ont une durée de gestation comprise entre 267 et 291 jours.

Dans toutes les races, quand la mère est une primipare, la durée de gestation du veau est plus courte d’un jour ou deux, ce qui est surtout dû au plus petit format des jeunes mères. De même, les veaux femelles ont une durée de gestation plus courte d’environ un jour en moyenne que les mâles. Les veaux qui naissent en été ont aussi une durée de gestation plus courte que ceux qui naissent en hiver, encore une fois d’environ une journée.

Au fil du temps, on observe une légère baisse de la durée de gestation dans certaines races, notamment laitières. Pour les animaux Holstein, la baisse est de deux jours depuis 2000. Une partie de cette baisse semble avoir des origines techniques. En particulier, l’utilisation de semence sexée, surtout sur génisse, modifie les proportions de femelles issues de primipares, qui ont donc une durée de gestation plus courte.

 

La part de la génétique

La génétique explique une grande part de la variabilité du phénotype. Selon les races, on estime que 40% à 60 % de ces fluctuations sont dues à la génétique (héritabilité du caractère). En séparant la génétique du veau et de sa mère, on peut calculer qu’environ 90 % de la variabilité génétique est expliquée par le génome du veau, et donc environ 10 % par la génétique de sa mère. C’est donc le veau qui détient la majeure partie des mécanismes génétiques qui régissent le moment de sa naissance.

Les modèles génétiques appliqués aux grands jeux de données disponibles (plus de 39 millions de gestations depuis 2000, dont la moitié en race Holstein) permettent de montrer que la diminution observée dans les races laitières a en partie une origine génétique, et donc que la sélection opérée depuis plusieurs décennies entraîne une légère dérive de la durée de gestation.

Les premières analyses de génétique moléculaire démontrent qu’une partie de ces mécanismes génétiques ont des origines communes entre plusieurs races. Ces mécanismes pourraient impliquer des gènes soumis à empreinte (qui n’ont d’effets que s’ils sont transmis par la mère pour certains, par le père pour d’autres). De nombreuses analyses sont encore nécessaires pour comprendre exactement les procédés en jeu.

 

Sélectionner le caractère : risques et opportunités

Afin d’estimer les conséquences que pourrait avoir la sélection sur la durée de gestation comme elle est faite sur les autres caractères, des index de durée de gestation ont été estimés et mis en regard des caractères économiques. Le premier résultat marquant concerne la mortalité juvénile : plus le potentiel génétique du veau tend vers une durée de gestation extrême (courte ou longue), plus le risque de mortalité dans les deux premiers jours de vie est élevé. Par exemple, en race Normande, les animaux qui ont un index de -2,0 (exprimé en écart-type génétique centré sur zéro) ont deux fois plus de risque de ne pas dépasser le stade de 2 jours par rapport aux animaux qui ne dévient pas de la moyenne. Autre exemple en race Limousine, les animaux qui ont un index à -2,0 ont 4 % de risque de mourir avant 3 jours, contre 1 % pour les veaux qui ont index durée de gestation intermédiaire. Globalement, le lien entre durée de gestation et mortalité est d’autant plus défavorable que la durée de gestation initiale de la race est élevée.

Le lien a également été fait entre l’index durée de gestation et l’âge à la première insémination. L’objectif est de comprendre si la durée de gestation est liée à la maturité sexuelle et à la croissance des femelles. Dans les races laitières, il semblerait que le lien soit légèrement favorable aux animaux à courte durée de gestation, à l’inverse des races allaitantes. Néanmoins, le léger avantage en faveur de gestations plus courtes chez les femelles de race laitière est négligeable en regard du risque affiché sur la mortalité juvénile.

En l’état donc, sélectionner pour réduire la durée de gestation semble très risqué. Il existe une opportunité pour sélectionner vers un optimum intermédiaire et ainsi rapprocher les durées de gestations individuelles des moyennes raciales. Davantage d’analyses au niveau moléculaire doivent être menées pour expliquer les rôles des variants (mutations) génétiques impliqués dans la variabilité de la durée de gestation sur la mortalité des jeunes.

 

Pour en savoir plus :

Ces travaux ont fait l’objet d’un article soumis dans une revue scientifique.

Ces travaux sont menés au sein de l’UMT eBis dans le cadre du projet de thèse Fertiligest sur la génétique de la durée de gestation. Ils sont financé par Apis-Gène et l’ANRT dans le cadre d’une convention CIFRE. Cette thèse est conduite par Jeanlin Jourdain (Eliance), dirigée par Aurélien Capitan (INRAE) et co-encadrée par Didier Boichard (INRAE), Anne Barbat (INRAE) et Sébastien Fritz (Eliance).