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Prédire les émissions de méthane à partir des spectres MIR du lait

Publié le par Solène Fresco (Eliance)
Les travaux du programme de recherche Methabreed et de la thèse MethaFor ont permis le développement d’un outil de phénotypage indirect des émissions de méthane des vaches laitières : la prédiction grâce aux spectres moyen infra-rouge du lait. Cela rend possible le phénotypage à grande échelle, nécessaire pour l’analyse génétique et l’évaluation de ce caractère.

 

Prédire le méthane à partir du lait ?

Prédire les émissions de méthane à partir des spectres moyen infra-rouge (MIR) du lait est une idée qui remonte à plusieurs années. Elle repose sur le phénomène biologique suivant : lors de la fermentation entérique, les bactéries produisent à la fois des acides gras et de l’hydrogène. Les premiers sont utilisés pour la synthèse du lait, et le spectre MIR contient donc des informations à ce sujet. L’hydrogène, lui, reste dans le rumen où il est associé à du carbone pour produire du méthane toujours sous l’action des microorganismes. On suppose donc une relation entre les acides gras du lait et le méthane, et c’est sur la base de cette hypothèse que repose la prédiction du méthane à partir des spectres MIR du lait.

Les premières équations développées estimaient le méthane à partir des profils en acides gras prédits par les spectres MIR du lait. La deuxième génération d’équations s’affranchit de l’étape de prédiction des profils en acides gras et prédit directement le méthane à partir des spectres MIR du lait.

 

Figure 1 : Schéma de la digestion des ruminants. La fermentation des aliments par les bactéries du rumen produit des acides gras volatils (AGV) ainsi que du dihydrogène (H2). Les acides gras volatils sont utilisés par l’animal pour ses propres besoins et pour la production laitière. Le dihydrogène est utilisé par des bactéries méthanogènes entrainant la production de méthane (CH4) qui est en grande majorité éructé par l’animal.

 

Comment construire une équation de prédiction ?

Soumis à une lumière IR, une molécule absorbe une partie de l’énergie qu’elle reçoit à des longueurs d’onde spécifiques variant selon le type de liaison entre atomes de cette molécule et laisse donc une signature spécifique. Un spectre MIR est composé de l’ensemble des absorbances dans le domaine de la lumière infra-rouge. C’est un ensemble complexe de données car résultant de l’absorbance du mélange de toutes les molécules présentes dans le lait.

 

Figure 2 : Tracer le spectre MIR du lait. Le long du spectre électromagnétique, la région moyen infra-rouge (MIR) correspond à des longueurs d’onde entre 2.5 et 25μm. Une source MIR envoie un faisceau vers l’échantillon de lait. Une part de ces faisceaux est absorbée par les molécules présentes dans le lait, l’autre part est transmise à un capteur. Un spectre MIR traduisant l’absorbance à chaque longueur d’onde est ainsi tracé afin d’analyser la composition de l’échantillon.

 

La première étape consiste à sélectionner les longueurs d’onde qui contiennent réellement de l’information. La seconde étape consiste, à partir d’un nombre suffisant d’animaux pour lesquels nous disposons à la fois de mesures directes du méthane et de spectres MIR, à déterminer un coefficient à associer à chaque absorbance. Cette phase s’appelle la calibration de l’équation. Une fois ces coefficients déterminés, nous pouvons ensuite les multiplier aux absorbances de tout nouveau spectre, et la somme des produits correspond alors à l’émission de méthane prédite pour ce spectre (Figure 3).

 

Figure 3 : Calibration des équations de prédiction des émissions de méthane (CH4) des bovins. Les coefficients c1, c2, c3, …cn sont estimés grâce à une population de calibration disposant à la fois de mesures d’émissions de méthane et de spectres MIR du lait. L’équation obtenue combine les absorbances à chaque longueur d’onde du spectre MIR afin de prédire les émissions de méthane d’animaux ne disposant pas de mesure directe.

 

La calibration des équations

De nouvelles équations ont été développées dans le cadre du projet Methabreed et de la thèse Methafor. Les données utilisées ont été collectés dans 5 fermes par IDELE et INRAE, sur un total de 235 vaches de races Holstein, Montbéliarde et Abondance. Au total, 26 000 mesures de méthane ont été collectées à l’aide d’instruments GreenFeed, et utilisées pour calculer les émissions de méthane réelles à associer à 1800 spectres MIR. Les spectres ont été standardisés selon la procédure OPTIMIR et corrigés pour le stade de lactation.

En partenariat avec le Centre de Recherche Agronomique Wallon et l’Université de Liège (Belgique), nous avons développé plusieurs équations, notamment pour prédire le méthane en g/j, en g/kg de lait corrigé pour les taux, et en g/kg de matière sèche ingérée. Un jeu de données supplémentaires de 45 nouvelles vaches de races Holstein et Montbéliarde a permis de réaliser une première validation des équations.

 

Des équations suffisamment performantes…

Les performances d’une équation de prédiction dépendent de plusieurs facteurs. Le premier est bien évidemment l’existence d’un lien réel entre le phénotype que l’on cherche à prédire et le spectre MIR. Mais elles sont aussi influencées par la qualité de la population de calibration, en particulier par la quantité de données et leur diversité. Les équations de prédiction du méthane développées dans le cadre de Methafor présentent des performances satisfaisantes, qui permettront le développement d’analyses génétiques et d’une évaluation génomique pilote. Mais elles ont vocation à être améliorées en continu, notamment grâce à l’augmentation de la taille et de la diversité de la population de calibration, prévue au sein du projet Methane2030.

 

… pour permettre les analyses génétiques

Les équations développées ici ont été appliquées à l’ensemble des spectres collectés et stockés par les établissements de contrôle laitier français, pour les principales races laitières (Holstein, Montbéliarde, Normande, Abondance, Tarentaise, Brune, Simmental, Pie Rouge des plaines et Vosgienne). Les prédictions obtenues vont maintenant être utilisées pour estimer les paramètres génétiques des émissions de méthane pour chaque race, en particulier l’héritabilité du caractère et ses corrélations avec les autres caractères d’intérêt. Dans un second temps, une évaluation génomique pilote sera développée pour chacune des races citées précédemment et proposée pour déploiement.

 

Pour aller plus loin

Ces travaux seront soumis à la revue animal (Fresco et al.) et ont été présentés lors de l’EAAP 2023. Ils ont été réalisés dans le cadre de la thèse CIFRE menée par Solène Fresco pour Eliance, au sein de l’unité GABI d’INRAE, co-financée par l’Agence Nationale de la Recherche et la Technologie et par APIS-GENE.