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Quels sont les effets du réchauffement climatique sur les performances des vaches laitières ?

Publié le par Sophie Mattalia (Institut de l'Elevage), Elise Vanbergue (Institut de l'Elevage), Julie Promp (Institut de l'Elevage), Aurélie Vinet (INRAE GABI)
Adapter l’élevage au changement climatique nécessite d’établir un état des lieux de son impact sur les performances des animaux. Cette étude comparative a montré que lorsque l’index Température-Humidité (ou THI) augmente, une baisse générale des performances est observée sur les troupeaux français, espagnols et néerlandais.

 

THI : un indicateur combinant la température et le degré d’humidité dans l’air

L’index Température-Humidité, ou THI, est une combinaison de la température et de l’humidité relative. Un air humide empêchant la transpiration, les températures élevées sont moins bien supportées avec de forts degrés d’humidité dans l’air. Le THI est ainsi l’indicateur le plus communément utilisé pour étudier l’impact d’un stress de chaleur.

Les données météorologiques journalières de la base Meteo France sont intégrées à l’échelle de 8 602 mailles de 8 km par 8 km couvrant la France métropolitaine. Les THI moyens journaliers de chaque maille ont été calculés à partir de la température moyenne et de l’humidité relative moyenne correspondantes. Ces THI moyens journaliers (moyJ) intègrent donc aussi les valeurs nocturnes. Concrètement,

  • Un THI moyen journalier (THImoyJ) de 55 correspond en moyenne à 12°C avec une humidité relative de 70%.
  • Un THI moyen journalier (THImoyJ) de 70 correspond en moyenne à 22.5°C avec une humidité relative de 70%.

Associer les valeurs de THI aux performances des vaches

La production laitière et les comptages de cellules somatiques à chaque contrôle ainsi que le taux de conception après la 1ère IA ont été analysés grâce à un modèle statistique dérivé des modèles d’évaluation génétique. Cela permet, entre autres, de tenir compte de la valeur génétique de chaque animal, de son âge, du stade de lactation pour les performances laitières, et bien évidemment du troupeau dans lequel est élevée une vache donnée. A ces effets a été ajouté celui de l’index Température-Humidité (ou THI).

Sur la période 2010-2020, chaque élevage a été caractérisé par ses conditions de THI journalières. Pour les caractères de production laitière et les comptages cellulaires, la moyenne du THI sur 3 jours a été prise comme référence (de J-2 au jour du contrôle). Pour le taux de conception après la 1ère IA, le paramètre le plus pertinent était la moyenne du THI sur une semaine après la première insémination (J0 à J7).

 

Les THI élevés s’accompagnent d’une baisse générale des performances

En France, les études en production laitière ont porté sur les races Montbéliarde, Normande et Holstein. L’impact observé est équivalent dans les trois races avec une baisse des performances de 5 à 14% (suivant le caractère) dans des conditions de stress thermique (de l’ordre de THI>70).

Par exemple, une perte de 1,5 à 3 kg de lait par jour (suivant la race et le rang de lactation) est observée entre la production à THI « optimal » et la production à THI élevé (cf. Figure 1).

 

Figure 1 : Effet du THI moyen sur les 3 jours avant le jour de contrôle (jour du contrôle inclus) sur la production laitière des vaches de races Holstein (HOL), Montbéliardes (MON) et Normandes (NOR) en première (L1) ou deuxième (L2) lactation

 

L’impact du stress de chaleur sur le taux de réussite à l’IA est très prononcé (cf. Figure 2) avec une perte allant jusqu’à 20% pour un THI de 75 en race Holstein (le résultat en Normande n’est pas encore disponible).

 

Figure 2 : Effet du THI moyen sur 8 jours suivant l’IA sur le taux de conception  de la 1ère IA (CR) des femelles primipares de races Holstein (courbe rouge) et Montbéliarde (courbe bleue).

 

L’augmentation du taux cellulaire était plus marquée pour les vaches adultes (environ 20% de cellules en plus en 2nde lactation).

 

Une baisse de performances observée également à l’étranger

Des études similaires ont été conduites en Espagne (race Holstein) et aux Pays Bas (races Holstein et MRY), avec des effets négatifs sur la production, la santé de la mamelle et la fertilité.

 

Figure3 : Effet du THI moyen 3 jours avant contrôle sur la production laitière en première lactation des Holstein (courbe pleine verte) et Montbéliarde (courbe verte en pointillés) françaises, des Holstein espagnoles (courbe noire) et des Holstein (courbe pleine orange) et des MRY (courbe orange en pointillés) néerlandaises

 

Cependant pour la production laitière et les taux cellulaires, les diminutions ne sont pas du même niveau, et ne démarrent pas au même seuil de THI. La comparaison des résultats entre populations met en évidence des différences plus marquées entre pays qu’entre races, probablement liées à des différences de conduites et systèmes d’élevage. Les résultats ne doivent donc pas être interprétés comme des différences de thermotolérance entre populations.

Pour la reproduction, en revanche, les seuils de THI au-delà desquels le taux de conception commence à diminuer sont beaucoup plus proches d’un pays à l’autre (entre 61 et 64 selon les pays), avec des pentes plus ou moins prononcées selon les populations.

 

Que traduit l’effet estimé du THI sur les performances d’une population ?

Rappelons tout d’abord que le THI, tel que mesuré dans l’étude, correspond ici aux conditions climatiques extérieures à l’ombre. Le ressenti de l’animal pourra donc être différent si celui-ci est à l’étable ou au soleil. Dans le cas de l’Espagne, quasiment tous les troupeaux restent à l’étable, avec des installations atténuant fortement l’effet des fortes chaleurs (ex : brumisation, ventilation). De la même manière aux Pays Bas, seuls les plus gros troupeaux étaient considérés dans l’analyse. Ils correspondent donc probablement majoritairement à des élevages dans lesquels les vaches sortent peu. Inversement, toutes les vaches des trois races des troupeaux au contrôle laitier ont été considérées dans l’étude française. Les trois populations intègrent donc des troupeaux qui passent une plus ou moins grande partie de leur temps à l’extérieur en fonction des saisons.

Par ailleurs, les modèles utilisés ne prennent pas en compte de manière précise l’alimentation (cette information n’était pas disponible), alors que celle-ci varie fortement au cours de l’année, notamment pour les systèmes avec pâturage, davantage présents en France que dans les deux autres pays. Pour les THI modérés, certains phénomènes, comme les variations saisonnières des régimes alimentaires, sont très concentrés sur certains THI et peuvent avoir un effet confondu avec celui-ci, en particulier sur la production laitière. Cela pourrait expliquer les différences obtenues avec les autres pays, pour lesquels les troupeaux sont majoritairement en bâtiments et reçoivent une alimentation le plus souvent standardisée et constante tout au long de l'année.

Pour les THI plus élevés, de très nombreuses études scientifiques mesurant différents paramètres physiologiques des vaches laitières s’accordent pour dire que ces femelles subissent un stress lié à la chaleur, qui affecte leurs différentes fonctions physiologiques. On peut donc considérer dans ce cas que les baisses de niveau de production, reproduction et l’augmentation des taux cellulaires observées à THI élevés correspondent à l’impact de la chaleur sur les différentes fonctions de la vache laitière.

 

Pour aller plus loin…

De très nombreuses questions restent en suspens. En particulier, si nous mesurons ici l’impact du THI à court terme, les études, telles qu’elles ont été construites, ne nous permettent pas de dire si cet effet perdure dans le temps. De même, elles ne nous permettent pas de dire si l’effet varie en fonction du système, des types de bâtiments etc… Pour ce faire, il nous faudrait disposer de plus d’informations (type de bâtiment, alimentation, dates de sortie au pâturage…), qui ne sont malheureusement pas disponibles dans les bases de données nationales.

Cet article montre les réponses moyennes observées dans chaque population. Cela ne reflète pas les variations de réponse individuelle, qui seront présentées dans un autre article.

 

RUMIGEN et CAICalor : des projets sur l’adaptation au changement climatique

L’UMT eBIS a conduit cette étude avec ses partenaires espagnols (INIA et IRIAF) et néerlandais (Wageningen University & Research). Elle a été réalisée dans le cadre de deux programmes de recherche :

  • CAICalor est un programme financé par APIS-GENE de 48 mois, porté par l'Institut de l'Elevage et associant Eliance et INRAE. Il intègre notamment un projet de thèse INRAE.
  • RUMIGEN soutenu par le Programme de Recherche et Innovation H2020 de l’Union Européenne N°101000226.

Enfin, cette étude a reçu le soutien financier du Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire (Plan National de Développement et d’Aménagement Rural).