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Vers une sélection génomique des animaux laitiers croisés

Publié le par Pascal Croiseau (INRAE), Sandra Dominique (Institut de l'Elevage), Sébastien Fritz (Eliance), Manon Guillerm (Institut de l'Elevage), Audrey Martin (Eliance), Sophie Mattalia (Institut de l'Elevage)
Le projet TransEvaGenoc a pour objectif de déployer les évaluations génomiques pour les deux types de croisement : le croisement laitier avec l'indexation de femelles laitières croisées et le croisement terminal avec l'indexation des taureaux allaitants sur femelles laitières. Il est pour cela nécessaire de développer des outils d'évaluation génétique adaptés, et d'interroger les acteurs de terrain afin de proposer des index manipulables aisément.

Pourquoi s’intéresser aux animaux croisés ?

On distingue deux types de croisement : le croisement visant à créer des animaux pour le renouvellement du troupeau, et celui visant à produire des animaux destinés à l’abattage. En bovins, le premier cas concerne essentiellement le croisement entre races laitières, tandis que le croisement lait x viande représente le second cas. Les objectifs d’évaluations y sont donc différents : pour le croisement entre races laitières, l’objectif est de connaître les aptitudes génétiques de la future vache laitière, tandis que dans le second, on s’intéressera en premier lieu aux aptitudes des pères des animaux croisés (facilités de naissance du veau et aptitudes bouchères).


En France, la sélection bovine laitière repose traditionnellement sur des races pures (Holstein, Normande, Montbéliarde, ...) mais le croisement est de plus en plus utilisé pour réunir les atouts de plusieurs races en un seul animal : meilleure santé, fertilité accrue, robustesse et production équilibrées. Jusqu’à présent, ces animaux croisés ne bénéficient pas d’outils génomiques adaptés, ce qui limite la précision des conseils apportés aux éleveurs.


Concernant le croisement lait x viande, des évaluations génétiques existent, mais elles ne concernent qu’une seule race laitière par race de taureau, et n’intègrent pas les informations génomiques. Par exemple, les taureaux Charolais ne sont actuellement évalués seulement sur support Montbéliard, les taureaux de race Limousine et Blonde d’Aquitaine sur support femelle Prim’Holstein. Par ailleurs, chaque race paternelle est évaluée indépendamment au sein de la race maternelle support, l’objectif étant de trouver le meilleur taureau intra-race pour chaque support.


Le projet TransEvaGenoc soutenu par APIS GENES a été lancé pour combler ces manques et permettre la mise en œuvre d’évaluations génomiques adaptées à chaque situation.

Un outil d’évaluation adapté

Dans les évaluations génomiques Single Step en race pure, toutes les performances et tous les génotypes sont utilisés simultanément. En situation multiraciale, le volume d’information généré par toutes les races pures associées et le déséquilibre provoqué par la faible taille de la population de référence en croisement (peu d’animaux génotypés) rendent la situation compliquée.
C’est pourquoi deux outils clés ont été spécialement conçus pour l’évaluation génomique des animaux croisés. Le premier (BreedOrigin) permet de déterminer la race d’origine de chaque allèle hérité par un animal croisé. Le second (CrossSG) permet de combiner les performances des animaux croisés, leurs génotypes et les effets des races pures pour estimer les valeurs génétiques de la population croisée.

BREEDORIGIN ET L’ORIGINE RACIALE DES ALLÈLES :

En utilisant un grand nombre de génotypes pour une race pure donnée, il est possible de constituer une bibliothèque représentative de l’information génétique présente dans la race, en répertoriant les allèles et haplotypes, ainsi que leurs fréquences respectives. Ces bibliothèques d’information génétique des races pures peuvent être utilisées pour une comparaison avec l’information génétique de chaque croisé pour déterminer de quelle race proviennent chacun des fragments du génotype. Ainsi, il est possible de reconstituer l’origine raciale de la totalité du typage des croisés. Cette information peut ensuite être utilisée dans l’évaluation génétique de la population de croisés.

 

Evaluation génomique et adaptation aux croisés avec CrossSG:

CrossSG utilise cette origine raciale pour calculer la valeur génomique des animaux croisés, en améliorant le modèle d’évaluation génomique classique (modèle GBLUP).

L’évaluation génomique classique, appliquée aux races pures, consiste à estimer la valeur de chaque marqueur génétique en utilisant les données d’une partie de la population possédant à la fois génotypes et performances. Ces estimations peuvent ensuite être utilisées pour prédire le potentiel génétique d'animaux génotypés, même en l’absence de performances. Le programme CrossSG est basé sur le même principe. En combinant l’origine raciale des allèles de chaque marqueur à leur effet estimé dans la race pure correspondante, il devient possible de calculer une valeur génétique totale pour les animaux croisés, et ainsi prédire leur potentiel. 

En pratique, cela signifie que l’effet d’un même allèle peut être estimé différemment selon son origine raciale. Il est donc possible de calculer un index génomique adapté aux animaux issus de plusieurs races, tout en valorisant la vigueur hybride (aussi appelé effet hétérosis) qui correspond au gain de performance associé au croisement.

CrossSG offre deux façons complémentaires de réaliser l’évaluation. Tout d’abord, pour pallier au faible nombre d’animaux croisés génotypés, il est possible d’utiliser directement les effets estimés dans les races pures pour prédire la valeur génomique des animaux croisés. Cette méthode tient compte de l’hétérosis (le « bonus » lié au croisement), et sera très prochainement opérationnelle en routine. Lorsque plus de données croisées seront disponibles (génotypes et performances), nous pourrons directement réaliser une évaluation génomique spécifique aux croisés en combinant les informations des races pures et des croisés pour calculer les effets des marqueurs génétiques. Sur le long terme, cela permettra une évaluation dédiée, plus précise.

Ces outils sont en cours de transfert et de test chez GenEval avec des premiers essais en croisement laitier sur environ 4 000 animaux croisés très prometteurs. Les travaux se poursuivent pour le croisement Lait x Viande, avec pour objectif d’évaluer les pères des veaux croisés.

Consultation des acteurs de terrain pour imaginer les différentes expressions possibles des index croisés

L’objectif des consultations était de fournir aux éleveurs des index manipulables aisément.

Que ce soit pour le croisement laitier (indexation des femelles laitières croisées) ou le croisement terminal (indexation des taureaux de race à viande utilisés sur support laitier), les Entreprises et Organismes de Sélection partenaires ont été consultés pour scénariser différents modes d’expression et unités des index génomiques. Les avantages et inconvénients techniques, économiques et de mise en place de chaque scénario ont été décrits.

Ces scenarios ont ensuite été présentés au cours d’enquêtes auprès d’éleveurs pour en discuter la pertinence.

Des éleveurs laitiers ouverts à une indexation multiraces des taureaux de races allaitantes

Suite à la consultation des éleveurs réalisant du croisement terminal, il ressort un intérêt particulier pour les scénarios où l’index est exprimé en fonction de la race de la femelle du troupeau laitier. Pour les accouplements, les éleveurs choisissent aujourd’hui les races des taureaux en fonction d’aptitudes particulières propres à chacune. Toutefois, ils sont ouverts à disposer d’index multiraces, où l’évaluation génétique de tous les taureaux utilisés pour le croisement viande est réalisée de façon commune. Il n’y aurait donc plus d’évaluation en croisement par race de taureau comme c’est le cas actuellement. Ce qui compte le plus pour les éleveurs, c’est de garantir des vêlages faciles pour éviter toute problématique sur leurs vaches laitières ; le lait restant le premier produit des élevages.

Les avis divergent pour le croisement laitier

Si le point de vue des éleveurs est assez unanime pour le croisement terminal, il l’est moins pour le croisement laitier. Parmi les différents scénarios d’expression construits et présentés aux éleveurs, deux d’entre eux ressortent :

  • Exprimer les index des femelles croisées sur l’échelle des index d’une race pure, ou
  • Exprimer les index des femelles croisées en fonction d’une population constituée d’animaux d’un croisement type.

Chaque éleveur y voit un intérêt particulier. Pour la comparaison à une race pure, l’avantage est la connaissance des valeurs de références, un éleveur peut plus facilement se repérer. Dans la comparaison à un croisement type, l’intérêt qui ressort est la possibilité pour un éleveur de comparer les animaux de son troupeau à une population qui lui ressemble davantage.


La difficulté de choisir pour le croisement laitier vient du fait qu’il existe une très grande diversité de son utilisation au sein des élevages. Parmi les éleveurs interrogés, quelques-uns sont ancrés dans une démarche de croisement rotatif sur l’ensemble de leur troupeau, d’autres en absorption, d’autres encore croisent une partie seulement de leur troupeau et ne suivent pas un schéma de croisement spécifique.