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Les modèles laitiers du nord de l’Union européenne à l'épreuve de la volatilité (428-octobre)

Dossier Economie de l'Elevage n° 428 - octobre 2012

Publié le par Groupe Economie du Bétail GEB (Institut de l'Elevage)
La période 2006-2011 marquée par une forte volatilité des prix du lait et des charges pour les exploitations laitières s’est avérée être un redoutable banc d’essai pour apprécier la compétitivité et la résilience des différents « modèles » laitiers européens dans le nouveau contexte issu de la libéralisation progressive des marchés européens des produits laitiers. Les résultats du RICA montrent que pour le modèle néerlandais qui dégage la meilleure rentabilité sur l’ensemble de la période, 2009 n’est qu’un simple faux-pas tandis que le modèle danois a lourdement chuté sous l’effet des crises financière (2008) puis laitière (2009) et ne montre guère de signes de redressement significatifs depuis. Le modèle low cost appliqué par les exploitations irlandaises génère de bonnes marges unitaires quand le prix du lait est élevé et procure à ces exploitations un revenu conséquent en fin de période. Enfin si la période 2007/2009 a été nettement plus profitable aux exploitations allemandes que françaises, ces dernières ne souffrent d’aucun déficit de compétitivité et font preuve d’une forte réactivité en toute fin de période.

En effet, après la flambée des prix de ces produits laitiers sur les marchés mondiaux dans le sillage de la majorité des matières premières (agricoles ou non) en 2007-2008, le retournement de la demande mondiale en 2009 consécutive à la crise économico-financière a eu d’autant plus de conséquences en Europe qu’un abandon progressif des instruments de régulation des marchés (quotas, intervention, aides à l’utilisation) était en cours. Entraînés par le doublement des cours mondiaux des produits laitiers les plus échangés, les prix du lait mensuels en Europe ont gagné 50% avant d’être divisés par deux dans certains pays (Allemagne). Ces variations inédites et imprévues ont finalement modifié la gestion de «l’atterrissage en douceur » prévu pour mettre fin aux quotas laitiers : rétablissement partiel de l’intervention et aides compensatrices décidées au niveau européen, parfois complétées par des plans nationaux (France, Allemagne) ou des mesures visant à stabiliser les prix (gel des augmentations de quotas en France, gestion et compléments de prix par la coopérative danoise en situation de quasi-monopole). Depuis la mi-2010, les prix du lait en Europe ont retrouvé puis dépassé leurs niveaux d’avant 2007 dans des contextes de sortie de crise qui restent marqués par des spécificités nationales (réactivité des prix et des volumes). Le niveau du prix des intrants (engrais, aliments, énergie) demeure cependant partout et sans doute durablement plus élevé qu’avant ces épisodes mouvementés, ce qui impacte différemment les systèmes de production pratiqués.

 

Des analyses micro-économiques réalisées à partir du RICA européen sur les exploitations laitières spécialisées et notamment la comparaison des séries chronologiques portant sur les paramètres essentiels (prix du lait, charges par catégorie, productivité du travail) ont permis d’expliquer les variations spectaculaires de la rémunération du travail dans la plupart des pays au cours de cette période. L’interprétation de ces évolutions a été réalisée grâce à une veille bibliographique et des entretiens avec des experts nationaux qui permettent d’accéder aux spécificités des contextes nationaux dans lesquels évoluent ces exploitations concurrentes.

Cette étude est focalisée sur six pays du Nord et de l’Ouest de l’UE, grands producteurs laitiers caractérisés par des filières fortement orientées vers l’exportation (et donc dépendantes de celle-ci à l’exception du Royaume-Uni, importateur net). L’équivalent de 40% de la production laitière française est exporté, ainsi que 45% de la production allemande, 60-65% de la production néerlandaise, près de 70% de la production danoise et plus de 80% de la production irlandaise. Ces pays sont en concurrence forte, notamment sur le marché intra-européen, et ont connu de ce fait les évolutions de prix du lait les plus vives au cours de la période d’étude. Les conditions de production fourragère au sein de la zone d’étude présentent également une certaine homogénéité par rapport à l’Europe dans son ensemble (notamment par rapport à la zone Sud) ce qui facilite certaines comparaisons.

 

Leader laitier européen, l’Allemagne possède un potentiel laitier toujours bridé par les quotas laitiers. En 2009, elle a traversé la crise sans trop de dégâts. Les éleveurs n’ont pas levé le pied, malgré un prix historiquement bas, pour diluer au maximum leur coût de production. Agressive sur les marchés extérieurs, la filière allemande est sortie plutôt renforcée de l’épreuve avec la ferme volonté d’accroître son potentiel de production. De plus, les coopératives, prédominantes dans le Nord du pays où se situe l’essentiel du potentiel de croissance, se restructurent et investissent dans des capacités supplémentaires de transformation. Cependant, la production laitière doit affronter la concurrence du biogaz au Nord et des grandes cultures à l’Est.

 

Avec des exploitations laitières spécialisées, parmi les plus solides et les plus rentables d’Europe, les Pays-Bas ne manquent pas d’ambition : accroître de 20% la production laitière à l’horizon 2020. Elle a traversé la crise ans encombres. Ses atouts sont bien connus : des élevages techniquement performants et bien maîtrisés, des éleveurs qualifiés et motivés, une recherche/développement au service de systèmes de production homogènes, des frais de collecte réduits et une transformation ultra-concentrée. De même que son principal talon d’Achille : la pression environnementale. D’autres facteurs -moins connus- peuvent aussi entraver la soif de croissance de la filière : l’ingérence forte de la société civile sur le bien être animal et l’évolution des élevages ; le renchérissement des coûts de production, le prix prohibitif du foncier agricole…

 

Vu du continent le Royaume-Uni demeure une énigme. Techniquement performantes, les exploitations laitières dégagent désormais de très bons revenus, grâce à des investissements globalement limités. Elles ont bénéficié depuis 2008 de la dépréciation de la livre anglaise. Pourtant, la production nationale peine à se maintenir alors que le pays bénéficie d’un climat idéal à la production laitière. Le secteur laitier cumule de lourds handicaps : des éleveurs plutôt âgés et peu organisés, un maillon transformation faible, peu offensif et peu rentable, face à une grande distribution puissante, une société civile libérale et très influente sur l’environnement ou le bien être animal… Toutefois, l’implication croissante de grands transformateurs européens pourrait modifier quelque peu le paysage.

 

À la différence de son proche voisin, l’Irlande se déclare conquérante. Elle attend avec impatience la fin des quotas et compte bien accroître, de 50% à l’horizon 2020, sa production laitière. Ce petit pays, qui exporte déjà 90% de sa production, dispose de solides atouts : un climat très tempéré propice à la production herbagère, un modèle de production « low cost», un dispositif de recherche/développement proactif. Mais aussi de handicaps qui peuvent contrarier ou reporter les ambitions annoncées : une production météo-sensible et très saisonnalisée, un foncier cher et morcelé, une transformation peu concentrée…

 

C'est au Danemark que la décennnie 2000 a été la plus mouvementée. Après avoir fait doubler la dimension moyenne de ses élevages en 7 ans (2000-2007) avec un plan de transformation radicale de l'amont de la filière, celle-ci a pu espérer avoir gagner son pari (créer un choc de compétitivité pour être prêt pour l'après-quota) en 2007 avant d'être rattrapé par les crises financière (2008), puis laitière (2009) aux conséquences dramatiques pour un grand nombre d'exploitations. Les difficultés de gestion de ces grandes structures très modernes à l'efficacité productive incontestable semble avoir été sous-estimées. La reconfiguration du secteur sous l'égide des banques pourrait aboutir à une plus grande division du travail, certains managers étant amenés à gérer plusieurs sites d'exploitation.

 

Dans leur ensemble, et bien qu'une approche moyenne cache une forte diversité (comme en Allemagne), les exploitations laitières françaises n'ont pas à rougir de leurs performances économiques. Elles sont particulièrement économes en intrants, notamment dans l'Ouest. En contrepartie, elles cultivent des exploitations de surface conséquente, rarement très spécialisées, ce qui conduit à un coût alimentaire élevé dû aux charges de mécanisation. Mais la hausse des volumes arrivée plus tardivement en France que dans l’Europe du nord modifie la donne tant en matière de gains de productivité du travail que de dilution des charges fixes, deux points qui limitaient fortement la rentabilité des exploitations française par rapport à ses concurrentes.