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En élevage caprin, des solutions pour maîtriser son coût alimentaire

Comment éviter un dérapage des coûts alimentaires sur fond de nouvelle flambée du prix des matières premières ?

Publié le par Bertrand Bluet (Institut de l'Elevage), Nicole Bossis (Institut de l'Elevage)
La situation en Europe de l’Est, et notamment en Ukraine, entraine une flambée des prix des matières premières et des dérapages sur les coûts alimentaires sont donc à craindre. Au vu des prix atteints à ce jour, cette nouvelle envolée des intrants pourrait se traduire par une hausse importante et rapide sur le coût de production des ateliers caprins. Pour en atténuer les effets, il n’existe pas de solution universelle. Chaque éleveur peut cependant activer un ou plusieurs leviers d’adaptation en fonction de la structure de son exploitation et de son système de production. Cet article propose de façon non exhaustive des pistes de réflexion sur la conduite alimentaire du troupeau caprin.

Un impact fort mais très variable d’une exploitation caprine à l’autre

Les élevages caprins sont parmi les plus impactés par la hausse des prix des intrants, et plus particulièrement par celle des grains et des oléagineux. En effet, les aliments achetés représentent à eux-seul la moitié de l’IPAMPA, indice des prix des intrants pour la production de lait de chèvre. En janvier 2022, avant même la guerre en Ukraine et ses conséquences sur la flambée des prix, l’IPAMPA aliments achetés affichait déjà une hausse de +14,3% d’une année sur l’autre (et +13,9% pour l’IPAMPA global).   

 

En moyenne 570g de concentrés sont utilisés pour produire un litre de lait en 2020 (INOSYS Réseaux d’élevage). Ainsi une hausse du prix des aliments aura un impact fort sur les coûts de production. Cette moyenne cache une grande diversité entre les systèmes alimentaires.

 

Données INOSYS Réseaux d’élevage - 2020

Système alimentaire

Pastoral

Pâturage

Ensilage de maïs

Foin légumineuse

Autre foin

Concentrés troupeau en g/L

390

490

600

620

690

 

Mais il existe également une grande variabilité au sein de chaque système avec par exemple pour les élevages livreurs de plaine en système « herbe stockée » un niveau de 580g/L en moyenne pour les élevages les plus économes en concentrés (quart inférieur) contre 730g/L pour les élevages en consommant le plus (quart supérieur). Par ailleurs le niveau d’autonomie en concentrés de ces mêmes exploitations est également variable avec 38% pour le quart inférieur contre 8% pour le quart supérieur.

Être encore plus vigilant sur la gestion des effectifs

Maîtriser le coup alimentaire du troupeau caprin commence par optimiser  le nombre d’animaux à nourrir. L’effectif doit être cohérent avec l’objectif de production et doit être ajusté tout au long de la campagne.

Réévaluer les seuils de rentabilité en fonction des coûts alimentaires

Avec la hausse du coût des aliments, le niveau de production minimum pour couvrir les charges alimentaires augmente. Une fois tous les ajustements possibles mis en œuvre, il convient de le réévaluer pour chaque catégorie d’animaux. Par exemple, pour des chèvres consommant 1.5Kg de concentrés/j, une hausse de coût des concentrés de 50€/T augmente le seuil de rentabilité d’environ 0.1L de lait par chèvre par jour en système livreur . Ce seuil permet de raisonner au plus juste en fonction des situations, la réforme, le réallotement ou le renouvellement etc.

Réformer régulièrement

Selon les systèmes alimentaires, la quantité de concentrés distribuée par chèvre varie de 300g à 2kg par jour. Pour un troupeau de 200 chèvres avec 30% de renouvellement, reculer la date  de la réforme de 2 mois peut donc entrainer une surconsommation jusqu’à 7 T de concentrés. Ainsi, il convient de réformer les chèvres dès qu’elles ont atteint un des critères propres à chaque exploitation et chaque période : faible niveau de production, échec à la reproduction, problèmes morphologiques ou sanitaires… Il peut donc être utile d’avancer ou d’augmenter la fréquence des mesures : contrôle de performance, échographies etc.

Ajuster au mieux le renouvellement

Le nombre de chevrette élevée doit être raisonné plus finement en fonction des besoins du troupeau. Bien souvent, les éleveurs ont tendance à garder plus de chevrettes pour conserver une marge de sécurité. La situation actuelle peut être l’occasion de faire un bilan des années précédentes pour réévaluer le besoin de renouvellement. Certaines stratégies de conduite, comme le recours aux lactations longues, peuvent également permettre de réduire le besoin en renouvellement.

Ajuster les rations et faire la chasse au gaspillage

100g de concentrés distribués en trop par chèvre, c’est plus de 7 tonnes d’aliment surconsommées par an pour un troupeau de 200 chèvres. 

Vérifier la cohérence entre quantités de concentrés prévues et quantités réellement distribuées

Une première cause de surconsommation de concentrés est liée aux imprécisions sur la distribution. Quels que soient les outils, il est donc important de vérifier que la quantité distribuée est bien la quantité prévue pour chaque animal, mais aussi à l’échelle de chaque lot. Il faut donc penser à réajuster les quantités distribuées à chaque évolution de l’effectif présent, réétalonner les distributeurs, peser les seaux, vérifier la cohérence avec l’évolution des stocks ou les fréquences de livraison.

Mieux connaitre les apports des rations et les besoins des animaux pour adapter la distribution

Les bilans alimentaires sont souvent très excédentaires en élevage caprin notamment en protéines : 87% des 3800 rations observées en 2017 par le réseau FCEL ont un taux de couverture PDI de l’animal cible à plus de 110%.  Cela est souvent lié à des marges de sécurité prises par rapport aux manques de connaissances précises, parfois sur les caractéristiques des animaux pour en établir les besoins, et surtout sur la valeur des aliments et les quantités ingérées, notamment des fourrages, pour connaître les apports. 
Analyser les fourrages, mesurer les quantités distribuées et ingérées, contrôler les performances des animaux peut donc permettre d’ajuster plus finement les rations et de réaliser des économies substantielles.

Ajuster plus fréquemment la ration

D’autre part, les rations ne sont généralement pas suffisamment réajustées au cours de la campagne : la ration établie au pic de lactation est bien souvent maintenue jusqu’à la reproduction voir au-delà.  Aussi il peut être intéressant de piloter la quantité de concentré apportée au fil de l’eau en la modifiant tous les mois en fonction de la quantité de lait produite.

Eventuellement faire des lots par niveau de production

Faire des lots par niveau de production pour ajuster les rations peut être pertinent. Avant toute chose il faut en évaluer l’intérêt et les conséquences pratiques. Si les niveaux de production sont hétérogènes et que les apports de concentrés sont importants, des économies conséquentes sont possibles. Il convient cependant d’être prudent en réallotant les animaux en particulier pour les meilleures productrices pour lesquelles, il faudra veiller à laisser plus de place à l’auge et à ajuster les quantités de fourrages apportées.

Acheter des aliments moins chers

Il n’y a malheureusement pas d’aliment bon marché disponible partout et adapté à toutes les situations. Il convient cependant de réévaluer et saisir toutes les opportunités d’achat d’aliment dans chaque région. Cela peut passer par l’achat d’aliments plus simples comme des céréales, des coproduits comme des drèches ou des pulpes, ou des fourrages de qualité qui peuvent dans certaines situations remplacer une partie des concentrés à moindre coup. Chaque modification devra faire l’objet d’un contrôle du nouvel équilibre de ration et d’une réflexion sur les modalités de distributions.

Améliorer l’autonomie en valorisant mieux les fourrages

En fonction de la situation de chacun, il convient d’étudier tous les leviers pouvant améliorer l’autonomie de l’exploitation et d’évaluer leurs incidences économiques (matériel supplémentaire par exemple…), mais aussi sur l’organisation du travail et le savoir-faire à mobiliser.


Améliorer la qualité des fourrages est la principale voie pour améliorer l’autonomie et réaliser des économies en concentrés. A court terme, cela peut passer par l’optimisation du stade et la technique de récolte. Opter pour un nouveau mode de récolte permettant de valoriser de l’herbe à un meilleur stade peut être étudié (pâturage, affouragement en vert, enrubannage, séchage en grange…). A moyen terme, une réflexion peut être conduite sur la nature des prairies : adapter les espèces en fonction du contexte pédoclimatique et du mode de récolte, augmenter la part de légumineuses en pure, en association ou en mélange etc. Enfin, utiliser plus de fourrage dans la ration en en augmentant la qualité implique un besoin de stock supérieur à anticiper : selon le système alimentaire, le besoin de fourrage peut varier de moins de 550kg de matière sèche par chèvre par an à plus de 1200kg. Il est également souvent nécessaire de modifier la distribution pour stimuler l’ingestion (augmenter le nombre de repas, accepter plus de refus…).

Exemple : Incidence de la qualité du foin de luzerne

Améliorer l’autonomie en produisant ses concentrés

Si des céréales sont produites sur l’exploitation, il est pertinent de les consommer pour réduire ou se substituer totalement aux concentrés énergétiques. Il n’y a pas de limite particulière à utiliser des céréales entières dès lors que les règles générales du rationnement sont respectées. Il faut bien sûr adapter les capacités de stockage et éventuellement les modalités de distribution.


Enfin se pose la question de remplacer les concentrés protéiques achetés. Si la voie la plus efficace est de travailler sur la qualité des fourrages, produire des concentrés protéiques est également possible. Il faut toujours s’interroger sur la cohérence globale à l’échelle de l’exploitation en prenant en compte le rendement (en protéines à l’hectare), les rotations, et la valorisation par les animaux. Les protéagineux (pois, féveroles, lupin) peuvent être utilisés dans les rations de chèvres. Ils sont cependant mieux valorisés après un traitement comme le toastage à condition que celui-ci soit efficace. En effet, même si la valeur en protéine brute d’un pois cru est bien supérieure à celle d’un blé, sa valeur en protéine digestible dans l’intestin (PDI) est similaire. Le toastage permet potentiellement de doubler la valeur PDI du pois. Les oléagineux peuvent également être utilisés mais uniquement après traitement, essentiellement en tourteaux.

 
Dans tous les cas, il faudra contrôler les indicateurs de rations en étant vigilant sur l’amidon pour les céréales, le pois et la féverole (pas plus de 25% d’amidon dans la ration) ou sur les matières grasses pour les tourteaux (surtout si fermier, pas plus de 4% de MG dans la ration). Lorsqu’un aliment du commerce est remplacé par des matières premières, il faut également être vigilant à maintenir une bonne couverture des besoins en minéraux. L’achat d’un aliment minéral est quasi systématiquement indispensable (qu’il soit inclus dans un autre aliment ou non). 


Exemple : 4 rations pour 4L de lait avec les mêmes fourrages

POUR ALLER PLUS LOIN 

Produire des fourrages de qualité pour les chèvres:

CAP'Herb : un outil web pédagogique sur la valorisation de l’herbe en élevage caprin

Piloter la ration des chèvres :

Des indicateurs liés à l'observation des troupeaux pour ajuster le rationnement des chèvres laitières

Maîtriser le rationnement des chèvres :

L'alimentation pratique des chèvres laitières

Outils:

AUTOSYSEL

Projet:

CAP Protéines Elevage

Contact :

Bertrand Bluet et Nicole Bossis

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